Reza Serkanian a sorti Noces Éphémères fin 2010. Ce premier long-métrage du réalisateur est passé par chez nous : c’était l’occasion d’avoir un entretien avec lui pour discuter un peu de cinéma.
Chronique de la vie d’une famille iranienne, le film s’attarde sur la relation amoureuse qui se noue lentement entre Miryam, veuve et mère, et le jeune frère de son défunt mari, Kazem. Avec une constante retenue et dans une atmosphère où les silences sont sibyllins, Serkanian prend le temps de faire parler ce qui aurait pu passer à la trappe : les gestes, les regards, les fuites ou les confrontations. Mais si le film s’attache à tout ce qui fait l’humanité de ses personnages, il révèle également dans ses non-dit le poids d’une société iranienne qui partout s’entremêle à la simple vie des gens. Pas de contenu ouvertement politique ici : juste un regard qui traverse les questions les plus évidentes pour mieux les faire réapparaître, en filigrane, dans toute leur complexité.
Peut-être qu’on peut commencer par résumer ton parcours et voir de quelle façon Noces Éphémères s’y inscrit ?
Si tu veux, alors j’ai commencé très jeune à faire des courts-métrages. J’en ai fait à peu près huit avant de quitter l’Iran où j’avais fait des études de chef-opérateur1 et de peinture. Puis deux ans dans une académie d’art à Amsterdam, et plusieurs courts et moyens-métrages, un documentaire en France2, un autre au Gabon3, voilà. Je n’étais pas retourné en Iran depuis une dizaine d’années, donc j’ai écrit Noces Éphémères en France et je suis parti en 2008 pour le tourner en Iran.
Ton film s’ouvre et se ferme sur un tableau un peu étonnant de Pieter Bruegel.4
Il m’a toujours interpellé : chaque détail représente un proverbe flamand. Ce que je trouve assez énorme avec Bruegel, c’est qu’avec une seule image il arrive à décrire non-seulement une société mais carrément à faire sentir l’esprit d’une époque. Ça donne un aperçu d’une culture. L’autre intérêt c’est que ça appartient à un autre temps, très éloigné de l’Iran d’aujourd’hui. Je me disais que ça pouvait élargir ce que le film raconte, lui donner un sens plus universel : c’est quelque chose d’humain qu’on a connu, qu’on peut comprendre en-dehors de cette société iranienne.
Et c’est pour ça que je m’approche à la fin du film de ce détail : le couple qui se cache dans la fenêtre, dans l’obscurité d’une maison au milieu de cette société un peu chaotique qui est bien décrite dans le tableau. C’est exactement l’histoire de mon film, finalement : un couple qui se trouve là, caché, quelque part dans l’obscurité. Je trouvais ça assez juste. Que ça résumait bien mon film, en plus de cette présence religieuse forte qu’on sent dans ce tableau et qui imprègne également Noces Éphémères.
On suit des relations amoureuses un peu complexes, qui ne sont pas forcément avouées et se tissent dans les gestes ou les dialogues. Qu’est-ce qui t’intéresse là-dedans ? Est-ce que ce sont les relations de ces personnages, leurs interactions avec la famille qui les entoure ? Ou est-ce que c’est plus symptomatique de ce qui se passe spécifiquement en Iran aujourd’hui ?
Moi ce qui m’intéressait c’était plutôt de parler du désir, et pas forcément de la consommation d’un désir. Et c’est là qu’en fait tu peux aborder vraiment plein de choses humainement profondes. Parce que ça permettait à travers cette histoire de désir d’en aborder d’autres : de parler de la société, de la famille, des traditions, de la culture, de la religion.
Et puis surtout la pudeur des gens m’intéressait. Ce qui est quelque part l’humanité, aussi, que j’essaie de créer dans mes films. Je pense qu’on ne peut jamais vraiment résumer ce qui est des comportements humains, des sentiments… Si on veut tout expliquer on les réduit à peu de choses, ce qui fait que le spectateur a l’impression d’avoir tout compris. Mais c’est très réducteur je trouve. Je pense que l’être humain est beaucoup plus complexe. Si on est vraiment honnête, des fois on ne peut pas expliquer clairement ce qui se passe dans nos têtes. Donc le non-dit c’est une certaine façon pour moi d’être, disons plus juste, par rapport à cette humanité-là, plutôt que de la réduire à quelques phrases : je suis amoureux, je ne suis pas amoureux. Ça c’est très réducteur pour moi, parce qu’il y a des sentiments qui sont ambigus, qu’on ne peut pas vraiment exprimer, qui se développent, qui changent d’une minute à l’autre. Quand je fais un film ce qui m’intéresse c’est ça : comment faire passer cette complexité à travers des non-dit, des gestes, des instants, des impressions. Je base mon film sur ce genre de choses plutôt que juste réduire tout ça à une phrase claire. Et je suis persuadé que ça peut toucher les gens, parce que si on prend le temps ça nous parle. En tout cas j’ai fait le film avec cet objectif.
Toute la première partie du film se déroule dans l’intimité d’une maison, un décor que tu as mis longtemps à trouver d’ailleurs…
Oui, la maison était très difficile à trouver. C’est une histoire qui se déroule sur quatre jours, mais on pourrait dire que ça traverse plusieurs générations, que ça part de l’enfance, ou peut-être de plus loin, quarante ans avant, avec plein d’anecdotes, de choses un peu lointaines. Ça parle du fin fond des relations familiales, des traditions. On est vraiment dans la profondeur et pour moi le début du film c’est un peu ça.
Et puis plus on avance dans le film et plus on se rapproche d’aujourd’hui : il y a l’enchaînement de cette enfance, de cette vie de famille avec soudainement la société, cet aspect politique plus actuel. On retrouve les mêmes éléments, les mêmes situations et on est censés mieux comprendre pourquoi la société en est là, d’où les choses viennent, parce qu’on a déjà vu comment on absorbe les éléments culturels pendant l’enfance. C’est une manière d’aller fouiller à la racine des choses.
Ce basculement je le voulais vraiment, parce que quelque part ça marque le contraste entre la vie intime et la vie sociale. Le film parle de ça aussi : de la place de l’intimité dans la société, des rapports intimes de deux individus qui se rapprochent alors qu’on se trouve dans une société pleine de contraintes. Dans la famille, où ces contraintes sont déjà présentes, ça reste assez convivial, mais quand on passe au plan de la société on est vraiment dans un registre différent où la police peut intervenir. C’est pourtant toujours la même culture, on le sent. Donc il y a deux aspects complètement différents, je ne dirais pas opposés, mais quand même assez contrastés de la même société. Les choses s’y répètent de façon relativement similaire. Ça montre aussi la mentalité, la légèreté avec laquelle les gens vivent certaines choses.
Quelque part c’était une manière d’expliquer comment l’aspect social et même l’aspect politique des choses ont leurs racines dans la famille et dans les traditions, dans la culture.
Des amis français de Miryam, un des personnages principaux, viennent en Iran tourner un documentaire. Ils apparaissent de temps à autre et leurs interventions éclairent un peu le contexte. Que sont ces personnages dans ton film ? Un moyen de nous permettre de mieux saisir la situation ? Une manière symbolique de te mettre en scène dans une forme de retour ? De permettre un regard un peu extérieur à la situation ?
Je pense qu’il y a un peu de tout ça. Ayant vécu ailleurs qu’en Iran je porte un regard différent, mais je vois aussi l’image qu’on en a depuis l’extérieur. Quelque part ça montre l’image que les médias donnent de ce pays – sans qu’il y ait un jugement là-dessus parce que ce sont quand même des journalistes qui s’intéressent vraiment : on voit qu’ils ont fait des efforts, qu’ils ont appris la langue… Ce ne sont pas des touristes, quoi. Mais il y a malgré tout un vrai décalage culturel qui fait qu’ils n’accèdent pas vraiment aux profondeurs de la société telle que moi je les décris au début. A un moment le journaliste se désole de n’avoir pas pu filmer la famille de Miryam, et elle répond que, ben non, ça n’aurait pas été possible.
Ils en restent plutôt à des questions comme par exemple la situation de la femme, le voile, le mariage – qui sont toujours des questions intéressantes et même qui font passer des informations qui sont constructives à travers le film – mais qui demeurent très extérieures. Comme on le disait tout à l’heure, il y a plusieurs couches dans le film et je voulais qu’il y ait une place pour ce registre-là, le regard journalistique sur le pays.
Beaucoup d’acteurs sont non-professionnels (on retrouve parmi eux Mahnaz Mohammadi5), quand ce ne sont pas tout simplement des passants filmés dans la rue. Alors est-ce qu’il s’agit réellement d’une fiction ? Dans quelle mesure le documentaire ou le réel viennent-ils s’inscrire dans tout ça ?
Alors ce qui est sûr c’est qu’il s’agit d’une fiction parce que tout était écrit, pensé, quelques années avant la réalisation. Mais une fois le scénario écrit, on peut le mettre de côté et voir comment intégrer des morceaux de réel, de vraie vie dedans, et c’est là que le choix des comédiens intervient.
J’ai choisi des acteurs qui n’étaient pas forcément des professionnels, mais qu’il fallait encadrer, amener à ce que qu’ils jouent en respectant le scénario. Il n’empêche que des fois les gens proposent des choses et c’est aussi ce que je cherchais : que les gens soient crédibles, vrais. Dès le départ les professionnels qui ont accepté de jouer ont compris mon choix. Ça leur a demandé plus de travail parce qu’eux pouvaient être efficaces dès la première prise, alors qu’en parallèle les non-comédiens n’étaient pas forcément au point, et donc il fallait refaire parfois à de nombreuses reprises. Mais bon ils l’ont accepté. Je crois qu’ils ont compris ce que ça apportait au film, que c’était important.
Il y a un passage très abrupt de la vie des gens au quotidien dans la maison, à des extérieurs où l’on ne saisit pas bien tout ce qui se passe. On ne suit pas du tout les personnages entre ces deux espaces : on ne voit pas les rues, la sortie de la ville, le déplacement en voiture. Tout cet aspect-là, que les amis journalistes de Miryam viennent justement chercher semble absent de ton film, non ?
Vers la fin on voit quand même des manifestations religieuses dans la rue, donc ça donne une petite perspective, mais je l’ai fait un peu exprès. Je ne voulais pas qu’il y ait des images juste d’illustration. Bon on peut s’en douter : il y a des rues, des embouteillages, un peu comme partout. Moi je voulais me focaliser sur une histoire.
J’avais écrit plusieurs scènes, pas mal de dialogues qui avaient lieu pendant le voyage, qu’on a filmés en plus. Et puis au montage je me suis dit que ça ressemblait à un road-movie sans l’être. Genre : maintenant on est sur la route, et bon, on parle, les paysages défilent. Ça entravait ce que je voulais faire passer. C’est sûr que quelque part ça aurait pu satisfaire le spectateur qui a envie de voir le pays, mais le film n’est pas fait pour ça. Ce n’est pas une carte postale. Je comprends qu’il y ait un besoin d’en voir un peu plus mais en montrant moins, on reste plus sensible, et le moins de choses s’imprime plus efficacement. Voilà, donc j’ai gardé juste l’extérieur et la ville pour la fin où on voit quelques images de manifestation, on voit la foule dans la rue, des images qui d’ailleurs ont été tournées en situation réelle, ce n’est pas du tout de la fiction.
Et sans équipe pour le coup, d’une façon semi-clandestine.
Oui, voilà, je les ai filmées tout seul avec une caméra, trois mois après le tournage6. C’était prévu dans le scénario, mais encore une fois je me suis demandé s’il fallait les remettre en scène, et puis je me suis dit que puisque dans le film on ne voyait pas trop la vie extérieure, ça pouvait être efficace d’avoir quelques images.
Comment s’est réparti le travail de réalisation ? Parce que toi tu as été directeur de la photographie, monteur… Comment as-tu travaillé avec Caroline Emery, la monteuse ? Avec le chef-opérateur Medhi Jafari ?
En fait on envoyait à Caroline les images pendant le tournage tous les jours. Elle pouvait commencer à préparer en particulier la synchronisation entre le son et l’image qui a été un très gros boulot. Ce qui a fait que quand j’ai fini le tournage, on avait déjà un bout-à-bout avec toutes les prises synchronisées, repérées.
Mais j’étais très clair avec elle, et elle a bien compris comment je fonctionnais. C’est un film d’auteur : si je fais appel à des techniciens c’est parce que j’ai envie d’avoir quelqu’un qui me propose des choses, qui m’aide à avancer, mais aussi qui me décharge des responsabilités techniques qui peuvent être assez fatigantes. Je me souviens à un moment donné, elle bossait dans la journée, moi je suis plutôt nocturne donc je reprenais le soir, je modifiais des choses. Le matin elle arrivait avant moi et voyait ce que j’avais fait la nuit, etc. Mais je suis le seul à décider, j’ai le dernier mot sur chaque détail.
Et je crois qu’elle a apprécié ça. De la même façon que moi si je travaille comme chef-opérateur je préfère nettement qu’un réalisateur soit très précis plutôt qu’il dise « Je te fais confiance : fais-moi une belle image ». Qu’est-ce que c’est une belle image ? Je ne sais pas trop. Même chose avec le chef-opérateur, Medhi Jafari, qui est un ancien camarade avec lequel j’ai fait mes études : il savait que j’étais chef-op’ et comme on se connaît depuis trente ans, j’étais tranquille et je pouvais me permettre de supprimer un projecteur, en ajouter, ou demander autre chose sans qu’il se sente agressé.
L’équipe de tournage est iranienne, principalement ?
Entièrement. Pour obtenir cette chaleur humaine que je voulais dans le film.
J’avais développé tout le projet en France, je l’avais fait lire, des gens s’étaient proposés pour m’aider, travailler sur le projet en Iran. Ils auraient été ravis, moi pareil. Mais à un moment je me suis dit que pour obtenir cet esprit iranien, ce fond culturel, il fallait que j’évite sur le tournage la présence de trop de traduction, de langues qui se mélangent – avec les comédiens qui nous regardent et ne nous comprennent pas. Ça met une distance. Je me suis dit qu’il fallait que je plonge vraiment dedans, que je le fasse vraiment à l’iranienne. Et même si c’était frustrant parce que j’avais des gens qui m’accompagnaient déjà au début, qu’il a fallu tout recommencer une fois en Iran, je pense que c’était une bonne décision. Cette ambiance s’est vraiment transmise dans le film, ça se sent. Quand il y a une convivialité ça se transmet.
J’avais de la famille parmi les acteurs et je me souviens, on en rigolait, parce que ça ramenait un truc très familial sur le tournage. Par exemple j’ai vu au bout d’un moment que quand mon assistant-caméra voulait faire le point7 sur le comédien qui était mon oncle, il l’appelait « tonton ». Comme moi je l’appelais toujours comme ça, du coup toute l’équipe aussi. Des choses comme ça faisaient qu’on était vraiment dans la famille, quoi. Ça amenait quelque chose qui était très sympathique. Donc tu imagines bien que si on avait été un mélange de français et d’iraniens sur le plateau, ça aurait donné quelque chose d’entièrement différent.
J’avais quelques interrrogations concernant ta démarche de réalisateur indépendant. En 2007 tu as fondé Overlap Films avec Erwann Créac’h.
Oui on s’est associés pendant que j’écrivais le scénario : pour déposer le dossier il fallait un producteur, et moi j’avais vu auparavant que ça me ralentissait, que c’était trop compliqué. Et puis surtout pour aller faire un film en Iran il fallait prendre des décisions, des fois prendre des risques. Et bon, avec Erwann on a décidé de créer une société de production pour être indépendants. D ‘ailleurs je ne l’ai pas regretté parce qu’avec les difficultés que j’ai rencontré sur place, s’il y avait eu un autre producteur, je suis sûr qu’il aurait tout arrêté, tout coupé et il m’aurait demandé de revenir. Alors que sur place Erwann m’a dit : c’est toi qui vois, qui comprends ce qui se passe, je te laisse décider. Ça c’est le bonheur, quoi. Et c’est ça être indépendant.
Et si on te donnait l’occasion d’être produit autrement ?
Je ne sais pas. Déjà trouver un producteur qui va dans ton sens… C’est difficile parce que le producteur ne réfléchit pas comme ça : il veut que tu aille dans le sien. Donc d’emblée ça paraît compliqué. Mais bon, moi je veux bien, ce serait même un rêve : si tu as un producteur qui te facilite les choses, qui te prépare tout, pourquoi pas. Mais jusqu’à présent je n’ai pas senti ça. Parce qu’en gros Erwann si tu veux c’est comme un frère, ce n’est pas mon producteur. Et il faut ce producteur-là : qui est passionné par ce genre de cinéma, qui fait confiance, qui croit, qui prends des risques parce qu’il faut en prendre, d’accepter de faire un film qui va certainement trouver son chemin mais qui n’est pas déjà établi, dont on ne sait pas trop ce que ça va donner. Il faut que ça se passe comme avec l’équipe. Pour moi c’est primordial d’avoir cette liberté, quitte à se planter. Pouvoir me dire que j’ai le droit de tout changer, par rapport à ce que je sens, par rapport à ce que je veux raconter, et ça il le faut jusqu’au dernier moment de la production. Même quand je fais le point sur les court-métrages que j’ai fait, j’ai toujours eu l’impression que j’étais plus ralenti qu’autre chose.
Par exemple : là je fais des dossiers d’aide à l’écriture, à la production. Donc je dépose les dossiers et il faut attendre quatre mois pour avoir les réponses. En gros le producteur il te dis : pars en vacance, on verra quand ils répondront. Mais il n’est pas sûr qu’ils retiennent le projet, donc on va le retravailler et on va le re-déposer dans trois mois dans un autre endroit. En gros je passe deux ans à faire des dossiers sans être sûr de rien, et je n’ai même pas commencé à écrire puisque je demande une aide à l’écriture. Alors non : moi je le dépose, mais je continue à écrire, j’avance dans mon projet. Ce n’est pas de cela que je veux dépendre. Si on veut être dans les normes de ce qui se fait d’habitude, ça ralenti énormément. Moi ça me laisse la liberté de créer. J’écris, ce n’est pas rémunéré mais au moins j’avance. Et à un moment ça doit accrocher quelque part, quoi. C’est comme ça que j’ai fait Noces Éphémères, d’ailleurs, je l’ai écrit sans aucune aide à l’écriture. J’étais allé voir des producteurs, et il y a des gens qui m’ont complètement découragé, en me disant texto : ce n’est même pas la peine. Bon, ça ne les a pas empêché deux ans plus tard quand je l’ai présenté à Cannes de me dire : « Bravo, tu l’as fait ! Enfin ! ». (Rires)
Oui parce qu’il est passé au festival de Cannes en avant-première nationale, et puis je suis aussi allé le présenter en avant-première internationale en Corée du Sud, au festival de Pusan qui est un peu l’équivalent de Cannes en Asie. Et depuis sa sortie il a fait un peu le tour de France et je l’ai accompagné pour des débats. Pour l’instant il n’est pas sorti à l’étranger.
Et du coup j’imagine que les acteurs et techniciens iraniens qui ont travaillé sur le film ne l’ont pas vu.
Non malheureusement ils ne l’ont pas tous vu, à part quelques amis de l’équipe qui l’ont regardé sur mon ordinateur. Mais la majorité des gens ne l’ont jamais vu. Mais en Iran ça se passe comme ça depuis des années, les gens comprennent, ils savent. C’est assez frustrant d’ailleurs parce que tu imagine tout le travail très exigeant qu’on a fait avec le chef-opérateur, avec l’équipe ! Tout le monde quelque part est frustré, surtout de voir sur internet qu’il est sorti, qu’il circule, qu’il se passe des choses tout le temps. Mais bon…
Parce que tu en as présenté en Iran une version abrégée, censurée, mais pas en public : durant le tournage.
Oui, ça c’était pour des commissions8. A chaque fois je mettais des logos sur l’image, pour qu’ils ne puissent pas les exploiter, parce que ce n’étaient pas des versions que je validais. C’était juste pour l’administration. Et à chaque fois je m’amusais à mettre vraiment en gros « copie de travail » partout. C’était juste pour pouvoir continuer à faire le film, donc il n’y a aucune version existante en dehors de cette version-là et ça c’était un travail très très compliqué à faire tout le long de la production du film.
On présente Noces Éphémères comme un film iranien. Alors, question stupide : c’est un film iranien ?
Oui alors, franchement, si la situation est un peu ambiguë, c’est parce que moi je ne considère pas vraiment qu’il y ait une nationalité pour les films. Après c’est une évidence, le film se passe en Iran, ça parle de l’Iran, mais moi je n’ai aucune raison de le réduire à ça. Tu sais, quand j’ai fait mon documentaire au Gabon, je me suis retrouvé dans un réseau de festivals, de cinéastes africains. C’était super intéressant parce que je ne connaissais pas, je découvrais, et j’étais tout le temps dans les sujets qui tournent autour de l’Afrique, complètement un autre monde. Tout ce temps-là je suis toujours resté autant français qu’iranien, mais ça n’empêche qu’à aucun moment on n’a parlé d’Iran, parce que le film se passait ailleurs. J’ai l’impression que chaque fois, avec chaque film – peut être parce que dans mon esprit je ne me limite pas à une nationalité, que je m’intéresse au monde dans lequel on vit – tout de suite il y a une étiquette qui sort : bon ben maintenant il est iranien, maintenant il est machin… Avec ce film-là, alors que ça faisait dix ans que j’étais parti d’Iran, que j’étais un peu éloigné de tout ça, avec le désir de connaître un peu autre chose, juste parce que c’est un film iranien, quand je le présente les gens ont l’impression que je viens d’arriver d’Iran, que j’arrive juste de l’aéroport. Alors que moi demain quand je ferais un film sur l’agriculture en France, je ne deviendrai pas pour autant un spécialiste de l’élevage, des écologistes… Encore une fois il ne faut pas que ça devienne réducteur.
Parce que ce qui moi m’intéresse c’est vraiment l’universalité des sujets que j’aborde. Que ça aide en parlant de l’Iran, à comprendre un peu ce qui se passe dans notre monde aujourd’hui, dans ce coin ou dans un autre. C’est une manière d’élargir un peu le monde, de connaître un peu notre époque. Je pense que même en Europe on a besoin – et je l’ai senti d’ailleurs avec ce film – de comprendre ce qui se passe en Iran, ce qu’est vraiment l’Islam, comment les individus le vivent. Ce n’est pas que l’aspect politique. C’est une question complètement universelle.
MacDuff /image : MacDuff