HISTOIRE DU FASCISME AUX ÉTATS-UNIS
Larry Portis, éditions CNT-RP.
Larry Portis nous a quittés très récemment, en juin dernier. Cet infatigable camarade des IWW, installé en France depuis les années 70 nous a laissé de nombreux livres. Parmi ceux-ci, Histoire du fascisme aux États-Unis, sorti aux éditions CNT Région Parisienne, est intéressant à plus d’un titre. Lorsque je l’ai commencé, je pensais m’attaquer à une œuvre traitant du fascisme aux États-Unis à la manière d’un épiphénomène local, description du phénomène politique et de sa kyrielle d’organisations et groupuscules à la sauce nord-américaine. Or, Portis attaque par un autre angle : il met en relation les conditions économiques et historiques étasuniennes, le degré de lutte du mouvement ouvrier et l’apparition et le développement de l’extrême-droite dans le même temps, ainsi que la mise en place d’une répression féroce par l’État et ses nombreuses officines fédérales ou locales. La définition du fascisme en tant que phénomène propre, idéologiquement distinct, ne suffit pas à en saisir la vraie nature. Portis le définit donc précisément mais ne s’arrête pas là. Le fascisme se construit et est soutenu à des moments où il est nécessaire à la classe possédante de maitriser et d’utiliser une partie du prolétariat : troupes du KKK maintenant le climat de terreur esclavagiste pour maintenir un sous prolétariat noir, casseur de grèves de l’American Legion, terroristes anti droit civique des Minutemen, soutien de l’US Labor Party1 à la contre-révolution reaganienne… Malgré les nombreuses ouvertures sur le sujet, on est loin d’une étude floue et bien qu’on manque de référence sur la pluralité des mouvements fascistes ou approchant, l’étude est ici plus intéressante qu’un catalogue accompagné d’une charge morale contre l’extrême droite et ses valeurs. C’est un outil en terme de connaissances historiques nord-américaines mais aussi un outil pour s’armer idéologiquement contre l’oligarchie capitaliste et ses supplétifs historiques.
Doctor Louarn /image : MacDuff
BALADA TRISTE DE TROMPETTA
Álex de la Iglesia, 2011.
Un sacré film, sacrément complexe, bourré de références, généreux, hystérique et nettement plus complexe que l’intrigue en surface veut bien le laisser paraitre…
J’ai quasiment rien lu dessus mais je vois ça vraiment comme une sacrée métaphore de l’Espagne franquiste. Une Espagne qui est mise à terre, frappée et humiliée par une puissance violente et autoritaire, une Espagne qui sera « sauvée » par des gens dont le rôle dans l’Histoire est perçu de manière très cynique par le réalisateur. Tout tourne autour d’une phrase : « Vous êtes de quel cirque ? » demande ingénument Javier au commando ETA responsable (a priori) de l’Opération Ogro (celle qui envoya Carrero Blanco dans les étoiles2
En contrepoint parce que je ne sais pas me taire, j’ajouterais comme point faible du film la manière dont la lutte antifranquiste est traitée, comme une guerre privée entre l’État et les guérillas antifranquistes, le reste des personnages étant clairement dans l’attentisme. C’est oublier les résistances ouvrières à Franco, les mouvements étudiants et de rue : de la Iglesia bien que traitant en fin de compte tout le parcours de la résistance armée au fascisme espagnol ne garde que la partie la plus spectaculaire de cette dernière. Mais c’est quand même un pur film avec quelques moments de grâce au milieu d’un bordel hystérique. (Doctor Louarn))…
Natalia évolue donc entre Sergio l’ordure ultra violente et Javier le révolutionnaire qui va sombrer dans une folie destructrice, né dans la vengeance, hanté par son père, victime à la fois des républicains et à la fois des franquistes… Javier, le chien qui mord la main de son maître… Javier le clown qui n’a plus peur des enfants (quelle scène fantastique, quel dialogue : le clown armé comme un porte avion, qui déclare à un petit enfant, « Tu ne me fais plus peur »)
Au delà du célèbre attentat d’ETA qui couta la mort au successeur de Franco, on retrouve également en filigrane l’histoire d’El Lute, sorte de Mesrine espagnol dont le parcours hors la loi acquis le cœur d’une certaine Espagne qui le voyait comme une sorte de héros de la résistance antifranquiste (et qui connu sa consécration en devenant le sujet d’une chanson de… Boney M !)
Histoire de clowns, histoire d’amour, histoire de son pays, Alex de la Iglesia mixe tout ça, garde quelques uns de ses gimmicks connus (un groupe de personnes hystériques suit et commente l’action, l’aspect grotesque de la religion, la brutalité de l’autorité…) et pousse sa mise en scène un cran plus loin pour proposer un spectacle totalement hystérique (certains plans sont accélérés, rendant le tout plus grotesque encore, accentuant le côté « représentation clownesque » de l’action, alors qu’à part le prégénérique, on ne verra jamais les deux clowns jouer sous le chapiteau) mais qui n’est jamais fatiguant.
J’avoue que j’ai du zapper la plupart des références cinématographiques que Alex de la Iglesia a dû placer dans cette Balade Triste dans les entrailles de son pays, même si le générique (bordel, l’un des plus beaux générique vu depuis longtemps) est prolixe à ce niveau ! Et propose même des images plutôt inattendues comme ce plan où la meuf empalée de Cannibal Holocaust se démultiplie.
Le film était commencé depuis 5 minutes, lorsque j’ai vu ça, j’ai tout de suite su que le film me plairait, eh eh !
PS : Ce générique me hante depuis que j’ai vu le film. C’est un court-métrage en soi, j’aimerai avoir le point de vue de J.B. Thoret là-dessus (critique auteurs d’une floppée de bouquins passionnants sur le ciné US des années 70, sur l’influence sur ce ciné de la vidéo de l’assassinat de Kennedy), lui qui m’avait passionné avec les montages d’images du film Parallax View… Voir par exemple la face de l’Empereur Ming enchainée avec celle du Pape et surtout la tête d’Hitler enchainée avec la scène du pal de Cannibal Holocaust.
Balade Triste est quand même un sacré film, un auteur utilisant le film de monstre et le triangle amoureux pour parler de son pays… C’est cynique, désabusé, intelligent, jamais évident. Je crois que c’est l’un de ses plus beaux films, en tous cas son plus ambitieux, et ça fait plaisir, après le très impersonnel Crimes à Oxford de retrouver de la Iglesia à ce niveau là…
Melvin /image : MacDuff