24,4% au mois de juin 2012, c’est le pourcentage de chômeurs en Grèce. La grande crise de 1929 avait vu le taux de chômage grimper jusqu’à des 32%. Les multiples mesures de ce qu’il est semble-t-il convenu d’appeler une « cure d’austérité » n’auront pas fait dévier d’un pouce l’effondrement de l’économie grecque, étant entendu que son corollaire – la misère noire qui vient broyer les grecs eux-mêmes – n’a aucune espèce d’importance dans les plans dressés par les États ou les organismes internationaux.
La dernière crise en date frappant le monde entier n’appelle qu’une seule réponse : se serrer la ceinture. On a donc dit aux grecs que c’était l’heure de la diète et c’est à cette heure qu’ils vivent depuis bientôt trois longues années. Pourtant pendant longtemps, la Grèce a été pour tous un miracle économique. Quand le truquage des comptes du pays s’est avéré flagrant – et que les conséquences sont apparues « soudainement » incontrôlables – on a qualifié les grecs d’irresponsables. Les premières mesures d’austérité imposées par la Troïka une fois contestées par la population, on les a transformé en fainéants, en tricheurs qui ne payaient pas leurs impôts et en incapables même pas fichus de les collecter. Puis pour finir on a tout simplement mis le pays sous une tutelle qui ne dit pas son nom – c’est plus pratique comme ça. Bien sûr quand on dit « les grecs » c’est uniquement du peuple qu’on parle, qui s’est fait arnaquer une première fois par ses dirigeants et le patronat, et qu’on somme de rembourser une dette qu’il n’a pas contractée. Bien sûr, le maquillage des comptes (pensé et mis en place avec la complicité des agences de notation qui plus tard enfonceront le pays dans la récession) n’est qu’un des détonateurs spécifiquement grec d’un gros paquet de dynamite, qui lui, est mondial. Alors que la responsabilité de la crise revient intégralement au capital ce sont les peuples qui paient la facture : le conditionnement du versement des aides fournies par la Troïka à la Grèce est un fameux exemple de la façon dont le capital continue à faire de l’argent sur les crises qu’il a créé de toute pièce. Alors comment a‑t-on volé les grecs ?
En janvier 2010, haro sur le service public en stoppant toute nouvelle embauche, en ne remplaçant qu’un fonctionnaire pour cinq départs à la retraite et en liquidant leurs primes. Deux mois plus tard, c’est la réduction des 13ème et 14ème mois dans le secteur public, et une hausse de la TVA qui passe de 19 à 21%. Le montant des retraites est gelé. Le premier « Memorandum » du mois de mai accorde 110 milliards d’aide, à condition que la Grèce continue dans cette voie. On exige que les salaires soient gelés dans le public, qu’on réduise encore les 13ème et 14ème mois des fonctionnaires, tout en les supprimant tout simplement pour ce qui est des retraites. On augmente à nouveau la TVA qui passe de 21 à 23%. En juillet, les retraites essuient une attaque de plein fouet avec des pensions réduites d’en moyenne 7%} sur 20 ans, un âge de départ à la retraite qui passe à 65 ans en 2013, une suppression des plans de départs volontaires, et un alignement de la durée de cotisation des femmes sur celle des hommes. L’année se clôture en décembre avec une baisse des salaires dans le public – mais aussi dans le privé, une première. De plus, les conventions collectives deviennent inefficaces puisque les accords d’entreprise priment désormais sur les accords de branche : obligés de lutter boîte par boîte, les salariés perdent toute capacité de contrôle dans une période où ils sont particulièrement fragilisés.
Le mois de juin 2011 voit fleurir le « Messoprothesmo » qui veut faire économiser 28,4 milliards de dépenses publiques. Dans le public, donc, les départs à la retraite ne sont plus remplacés qu’une fois sur 10, on diminue de 10% le nombre de contractuels, on fusionne des organismes. Le seuil d’imposition est abaissé et passe de 12 000 à 8 000 euros par an. On créée une taxe dite « de solidarité » de 5% sur les revenus supérieurs à 12 000 euros par an. On privatise également à tour de bras pour récupérer 50 milliards d’ici 2015. En septembre la TVA passe de 13 à 23% dans la restauration et on créée un impôt sur la propriété immobilière prélevé sur les factures d’électricité. Un mois plus tard on met 30 000 fonctionnaires au chômage technique pendant un an contre 60% du salaire. Une grille de salaire unique est élaborée entraînant de nouvelles baisses de revenus. Dans le privé, on gèle les conventions collectives pour au moins deux ans. On soumet à l’impôt sur le revenu dès les 5 000 euros par an.
En février 2012 arrive le deuxième « Memorandum » pour 148 milliards auxquels s’ajoutent les reliquats du prêt précédent. Les exigences sont les suivantes : le salaire minimum perd 22% et passe de 740 à 580 euros brut par mois – gros coup de bol pour les jeunes, en-dessous de 25 ans il est amputé de 32%. Les salaires n’augmentent plus avec l’ancienneté. On met 15 000 fonctionnaires de plus au chômage technique et baisse de 15% les pensions de retraite complémentaire. Les privatisations qui devaient se faire en 2011 ayant tardé sont réévaluées : elles ne rapporteraient plus que 19 milliards soit presque trois fois moins que prévu. Alors que la fiscalité aura augmenté d’en moyenne 20% sur les trois dernières années, en décembre, le niveau de vie des grecs devrait être inférieur de moitié à celui de 2008. Le PIB a perdu 22% dans ce laps de temps. C’est le pays du monde où l’augmentation du taux de suicide est la plus élevée, en hausse de 45% à la fois en 2010 et en 2011. Fin août, la coalition gouvernementale constituée de Nouvelle Démocratie, du Pasok et de la Gauche Démocratique a entériné la suite du processus – mais tous les partis au pouvoir l’ont soutenu, y compris le Laos, équivalent du FN.
Le pays s’enferre : entre 35 000 et 45 000 fonctionnaires toucheront durant trois ans 65% de leur salaire actuel puis seront licenciés, dans l’objectif d’atteindre les 150 000 renvois de fonctionnaires dans les 3 ans à venir. Les primes de Noël, Pâques et de congés sont supprimées. Réduction de 10 à 30% de sommes cotisées annexes aux retraites, et même jusqu’à 40% sur certaines des 23 caisses concernées. 1% des retraites retenu pour environ 800 000 personnes. Diminution de l’ensemble des retraites au-dessus de 600 euros et des retraites complémentaires. Extension de la grille unique de salaire aux entreprises d’utilité publique, ce qui induit des réductions de salaire allant jusqu’à 35%. Réduction des allocations sociales liées aux revenus et des pensions versées aux mères célibataires. Fusion et privatisation d’une cinquantaine d’organismes publics (loterie nationale, aéroport, compagnies de gaz, d’électricité et d’eau, gestion des autoroutes, les ports qui sont encore publics, toutes les banques dans lesquelles l’État grec a encore des parts, des terrains ainsi que 28 immeubles appartenant à l’État).
Abaisser le coût du travail permettrait de sortir de la crise. Ce mantra, inlassablement répété par la Troïka et l’ensemble des gouvernements aura encore prouvé qu’il ne stoppe en aucune manière une crise économique.
Il aura également de nouveau prouvé qu’il est un outil de plus du capital pour maximiser ses profits dans ces périodes. L’intégralité des « mesures d’austérité » imposées à la Grèce n’aura servi qu’à enfoncer plus encore le pays dans la récession. Comment en effet soutenir la croissance tout en anéantissant le pouvoir d’achat des consommateurs ? Même en partant du principe que l’arnaque de la croissance serait la solution, nos dirigeants détruisent par leurs réformes toute potentielle issue de ce côté. Étant donné les profits qui en sont tirés, il n’est pas question d’incompétence de leur part mais bien d’un gigantesque vol à main armée opéré contre le peuple grec. La fraude fiscale en Grèce se monte à environ 41,1 milliards d’euros (dont 85% sont dû par 5% des fraudeurs, soit 14 700 individus, entreprises ou organisations qui doivent 37 milliards). Ces évasions fiscales ne sont donc pas le fait des grecs payés 580 euros par mois, le plus bas salaire horaire de la zone euro. La Troïka force-t-elle les bourgeois grecs à payer ce qu’ils doivent ? Non : elle fait opérer des réductions sur les salaires et les retraites et propose une semaine de travail de six jours. On privatise pour rembourser les dettes, bradant le patrimoine public : comment en un an la valeur des services publics à privatiser a‑t-elle pu perdre 31 milliards ? La réponse est simple : ils valent autant, mais sont vendus pour pas un rond à ces bourgeois qui ont initiés la crise et qui feront payer plus cher les mêmes services à la population. L’action de la Troïka et de l’État grec est si profonde qu’elle va jusqu’à contraindre les bateaux effectuant les liaisons dans les archipels à diminuer leur vitesse pour économiser du carburant ou mener à des situations effarantes telles que la possible location des policiers 30 euros de l’heure. Le ministre allemand des finances a même été jusqu’à proposer une suppression des élections législatives et la création d’un gouvernement de techniciens. Infantilisés, humiliés, contraints de baisser la tête, les grecs se font dépouiller de tout ce qui leur reste.
Alors que la crise enflamme l’Europe et que les États-Unis mènent la guerre à l’euro, le capitalisme se rince. Si la Grèce est un laboratoire, les prolétaires d’ici doivent s’organiser sous peine de prendre eux aussi de plein fouet l’impact de la crise économique.
MacDuff /Image : MacDuff
Grèce : les nouvelles mesures d’austérité, Mehdi Zaaf, Mediapart, 29 août 2012.
La Grèce s’enfonce dans la récession et la pauvreté, Amélie Poinssot, Mediapart, 07 septembre 2012.