Anthi, Yorgos et Nikos ont répondu à nos questions en mai 2012. Un éclairage plus précis de la situation sur le terrain, vue par des membres de « syndicats de base ».
Interview intégrale
Le format audio reprend l’interview dans sa presque intégralité, pour aller plus loin que le format dédié au journal imprimé. La conférence qui s’est déroulé le même jour se trouve en écoute en intégralité en fin d’article.
On a ici l’image d’une Grèce très réactive et contestataire. Est-ce une réalité ?
Nikos : Beaucoup de camarades à l’extérieur pensent que la Grèce est dans une étape presque pré-révolutionnaire et ce n’est pas du tout vrai. Ce qui est vrai, c’est qu’au cours des dernières trois années nous avons vu un développement du mouvement social, des manifestations très massives, un usage de tactiques qui auparavant n’étaient pas utilisées – comme par exemple la tentative d’entrer dans le Parlement.
Une grande partie de la société (les étudiants, les chômeurs…) ressent une forte rage contre l’État et trouve les jours de grande manifestation l’occasion d’exprimer cette rage par la violence. Mais ça ne signifie pas que toutes ces personnes soient organisées ou partie prenante du mouvement.
Yorgos : Ce que nous pouvons dire, c’est que la violence et la lutte s’expriment dans la rue, mais que cela ne s’étend pas dans le domaine du travail, du combat quotidien. Les grèves débouchent sur des manifestations violentes, mais ne bloquent pas la production : tous les magasins, les entreprises, restent ouverts.
En Grèce il n’y a pas un fort mouvement ouvrier, les deux confédérations syndicales étant complètement contrôlées par les partis sociaux-démocrates qui ont fait passer les mesures d’austérité. Même la gauche a une tradition nationaliste, liée à la résistance contre les allemands : parce que beaucoup parmi la droite collaboraient, la gauche a incarné la résistance nationale. Pour beaucoup de gens, le sentiment est que la Grèce vit une nouvelle occupation sous le joug de la Troïka, de l’Allemagne. La gauche utilise ce sentiment dans une visée électoraliste, mais ne ramène pas le sujet sur des questions de classes.
Il y a des forces – de petits partis de gauche, des anarchistes, des membres de syndicats de base – qui tentent d’expliquer que les mesures qui s’attaquent aux travailleurs et qui sont passées ces derniers temps, ont été proposées avant la crise, mais ce n’est pas cette analyse qui triomphe au sein de la société.
Aux dernières élections, les néo-nazis de l’Aube Dorée ont réalisé un score important. Est-ce que ça vous a surpris ?
Nikos : C’est une surprise parce qu’ils ont augmenté vingt-deux fois leur pourcentage mais c’est une deuxième étape : auparavant ils étaient intervenus dans quelques quartiers en créant des comités anti-immigrés, ce qui a permis à leur président d’entrer au conseil municipal d’Athènes. Il adopte une position anti-Troïka, anti-système, d’une certaine façon un profil anticapitaliste. La situation est plus difficile qu’auparavant, parce que cinq-cents mille personnes ont voté pour eux. Même après les élections, qui leur ont apporté vingt-et-un députés, ils ont poursuivi leurs attaques avec la même violence : il y a encore quelques jours, ils ont menacé un patron d’incendier son usine s’il ne licenciait pas ses travailleurs pakistanais.
Nous allons continuer à les combattre, mais selon nous il est important que les syndicats intègrent les immigrants dans leurs rangs pour les protéger – ce qui est rare jusqu’à présent. Ils doivent aussi organiser des luttes en faveur des droits des migrants, favoriser leurs relations avec les travailleurs locaux, pour être en capacité de donner une réponse sociale à ces logiques fascistes. Il ne s’agit pas seulement de la question de leurs députés, mais de la mentalité raciste qui touche une grande partie de la société. Même l’État a adopté ce discours et rend les immigrants responsables de la crise. Avant les élections, le gouvernement a annoncé la création de trente centres de rétention. L’un d’entre eux a déjà été construit. Une réponse sociale possible aux mouvements fascistes, c’est le blocage de la construction de ces centres.
Il semble que la social-démocratie grecque arrive à un tournant décisif : les luttes peuvent-elles déboucher sur un changement radical ?
Yorgos, Nikos et Anthi : (Rires). Aaah, nous ne savons pas.
Yorgos : Il y a un mouvement qui est fort dans la rue, mais ce n’est pas réellement organisé autour de structures stables au quotidien, qui puissent jouer un rôle important et prendre la place de l’État. Même sur le plan défensif nous n’avons pas beaucoup de succès : toutes les mesures sont passées. (Rires).
En Argentine des entreprises ont été reprises par les ouvriers. Est-ce envisageable en Grèce ? Y a‑t-il d’autres initiatives pour faire face ?
Nikos : Dans le domaine de la production, on ne peut pas faire de comparaison entre l’Argentine et la Grèce, ni au niveau de l’organisation des syndicats et de leur volonté de faire ce genre de choses. Nous n’avons pas d’usines occupées par les travailleurs fonctionnant de façon autogérée : même si les syndicats occupaient une usine ils ne pourraient pas continuer à fonctionner parce qu’ils seraient isolés et seraient incapables de trouver les matières premières nécessaires à la poursuite du travail. Il n’existe pas de marchés, comme en Argentine, où les travailleurs industriels amènent des produits pour les échanger contre des produits agricoles, par exemple.
Yorgos : Les assemblées de quartier organisent des repas collectifs ou des marchés d’échange de produits. Quelques structures se passent d’intermédiaires et permettent des rapports directs du producteur au consommateur – dans une ville ils ont créé une monnaie symbolique pour effectuer ces échanges. Il existe des banques de temps, qui permettent d’échanger ton travail contre celui d’un autre.1 Plus fréquemment, il y a des réquisitions dans les supermarchés : certains le font individuellement mais des groupes anarchistes également et redistribuent les produits dans les quartiers pauvres, avec un discours anticapitaliste. Quelques syndicats de base font des caisses de solidarité pour les chômeurs. Certaines personnes ont quitté les villes pour la campagne, pour monter des collectifs avec des jardins, des animaux. Mais rien de cela n’est organisé de façon centralisée, et tous ces exemples ne concernent qu’une partie de la société.
Nikos : Ce sont surtout les personnes politisées qui participent à ce genre de choses. Seules les assemblées de quartiers ou les marchés fonctionnant sur l’échange sont connus du reste de la société.
Que pensez-vous de la solidarité internationale telle qu’elle existe ?
Yorgos : L’existence d’une solidarité internationale est très importante : puisque la crise est internationale, les travailleurs doivent avoir une conscience commune et être organisés dans une nouvelle Internationale. Il est aussi nécessaire d’échanger les informations, les expériences sur la lutte. Nous essayons d’être en contact, de créer une fraternité des organisations anarcho-syndicalistes et des syndicats investis dans la lutte de classe.
Nikos : L’État présente la Troïka comme l’ennemi, responsable de la situation, mais ce qui importe pour tous les travailleurs d’Europe, c’est de mener les luttes contre leurs patrons, chaque jour. Maintenir la pression, ce n’est pas seulement exprimer une solidarité : quand les travailleurs de Carrefour en Grèce sont en grève, il est important que les travailleurs ici bloquent également. Avec des actions comme celles-là, il est plus probable d’obtenir des résultats positifs qu’avec une manifestation de solidarité.
Nous n’avons pas de solutions toutes faites, mais nous voyons les défauts du mouvement des travailleurs en Grèce. Comme la crise commence à arriver ici, il est important que les syndicats se renforcent et qu’ils préparent les travailleurs, pour que les patrons n’aient pas affaire à des mouvements désorganisés, comme ça a été le cas en Grèce.
MacDuff & Lirios /image : Lucette
traduction : Anthi
Conférence intégrale
Malgré une qualité d’enregistrement parfois assez pauvre durant le débat, cela permet un apport d’éléments sur la situation grecque.