La 1ère Internationale, en 1864, vise l’organisation du prolétariat de tous les pays pour l » « abolition de toute domination de classe », les statuts de l’AIT1 rédigés par Marx commencent par un considérant essentiel : « que l’émancipation de la classe ouvrière doit être l’œuvre des travailleurs eux-mêmes. » Cette organisation vise la révolution qui « n’est ni locale, ni nationale, mais sociale » et dépasse enfin la vision d’une révolution qui ne serait que politique2, à l’exemple de la révolution française de 1789, pour affirmer que l’égalité et la liberté ne pouvait pas se cantonner au politique mais devait s’étendre à l’économique et au social. Elle regroupe à ses débuts l’ensemble des tendances du mouvement ouvrier, via des fédérations régionales de différentes régions du monde, principalement en Europe mais pas uniquement, et s’étendra rapidement.
La dimension syndicale de l’AIT est affirmée dès 1869, dans l’appel à la création des Sociétés de Résistance. Le conflit naîtra entre les marxistes qui prônent l’action politique (les élections pour aller vite) comme moyen d’émancipation ouvrière et les compagnons de Michel Bakounine, adhérent depuis 1868, qui restent fidèles à la révolution sociale et au slogan « l’émancipation des travailleurs doit être l’œuvre des travailleurs eux même ». Les anti-autoritaires sont alors majoritaires, surtout la tendance collectiviste, que l’on pourrait aujourd’hui nommer communiste libertaire ou communiste libre. Ils critiquent le poids de plus en plus important pris par le Conseil Général de l’AIT.
La Commune de Paris sera un événement important au cours de sa vie, l’Internationale y apportant toute la solidarité que ses maigres moyens pouvaient lui permettre, ainsi que la justification de son existence. Mais au sein de la 1ère Internationale, comme on la nomme aujourd’hui, les tensions s’accentuent autour des analyses des diverses tendances. La mise en pratique de ses principes, à travers ses échecs et ses réussites, scinde le mouvement ouvrier autour de questions majeures : l’autonomie de classe n’est elle pas la seule garantie de l’accomplissement de l’émancipation du prolétariat3 ? La mise en place d’un État transitoire avant le communisme est-elle nécessaire4 ? Ne serait-elle pas plutôt la mise en place d’une vie de caserne pour le prolétariat, sous la coupe d’une nouvelle classe remplaçant la bourgeoisie5 ? Les débats se font à couteau tiré et le grand écart nécessaire à la coopération devient impossible, pas par manque de souplesse mais bien parce que les projets deviennent diamétralement opposés. Entre d’une part la mise sous coupe réglée du mouvement ouvrier par nation et d’autre part l’application du principe fédéral comme garantie du maintien d’un socialisme authentiquement révolutionnaire, avec l’égalité intégrale pour la classe qui n’a pour seule richesse que sa force de travail à vendre : le prolétariat.
En 1872, les anti-autoritaires sont exclus de l’AIT suite à un coup de force de Marx au Congrès de la Haye.6 Une des accusations que l’Histoire a peu retenue concerne l’accusation publique de vol de portefeuille à l’encontre de Bakounine, le conflit n’étant pas toujours d’un grand niveau philosophique… Immédiatement est créée une Internationale anti-autoritaire, à partir de la fédération du Jura, qui approfondira notamment les principes du syndicalisme d’action directe, que la CNT revendiquent comme étant les siens, s’en tenant aux préceptes « ni dieu, ni césar, ni tribun »7. Quant à l’AIT de Marx, devenue une coquille vide, elle s’autodissout en 1876. S’ensuivront les scissions et recréations d’Internationales par tendance politique du socialisme au sens large – Internationale Socialiste, Komintern, Internationale Syndicale Rouge…
L’AIT sous sa première mouture aura permis aux travailleurs de mettre en place des campagnes communes sur l’ensemble des continents : réduction du temps de travail, abolition du travail des enfants, solidarité avec les luttes des travailleurs dans le monde.
Au-delà de son histoire chaotique, une AIT strictement sociale, fédérant les syndicalistes révolutionnaires et des anarcho-syndicalistes, reconstruite en 1923 à Berlin, existe encore aujourd’hui. Malheureusement, celle-ci ayant oublié que l’Idée nécessite aussi une pratique et surtout une pratique syndicale, la CNT en a été exclue8 malgré elle ainsi que d’autres sections. Depuis, au niveau international, la CNT a développé un réseau de liens avec des syndicats révolutionnaires de lutte de classe à travers le monde, dans un esprit anti-autoritaire. Et conserve d’ailleurs des liens avec certains des syndicats participant aussi à l’AIT.
Doctor Louarn & Jean-Claude /Image : Zorg