Malheureusement, plus rien ne nous étonne. Passée la sidération, c’est désormais la lassitude qui domine. Plus que quelques mois à tenir, entend-on en salle de pause. Il faut dire que ça fait bientôt cinq ans que ça dure…
Et pourtant, depuis son arrivée au Ministère, Blanquer n’a fait qu’appliquer ce qu’il avait écrit depuis des années, à savoir une politique éducative réactionnaire et libérale. Malgré des mouvement sociaux parfois forts (sans doute pas assez…) par exemple contre la loi sur l’école de la confiance, puis contre la réforme des lycées, malgré des scandales à répétition (l’organisation lycéenne Avenir lycéen, les budgets non dépensés malgré des gels de salaires et des suppressions de postes), malgré une répression de plus en plus forte (dans le 93, à Melle dans les Deux-Sèvres, et maintenant dans le 35), Blanquer continue de dérouler son programme. Et force est de noter que celui-ci prend des tournures de plus en plus inquiétantes.
Un nouveau cercle de réflexion destiné à définir la laïcité
Rien que ça : Blanquer est persuadé détenir LA vérité dans le domaine. Pour en convaincre le reste de la majorité présidentielle (il n’aura guère de difficultés tant il y compte des soutiens), mais aussi à droite comme à gauche pour élargir son socle, il a donc lancé le 13 octobre un think tank appelé « Laboratoire de la République ». L’objectif revendiqué, Blanquer ne s’en cache même pas, est de contrer la diffusion du « wokisme » auprès des jeunes. Il faudrait les préserver d’une idéologie néfaste, avec Blanquer comme messie (Blanquer n’est pas loin de se considérer comme tel, dans son dernier ouvrage École ouverte, dans lequel il ne fait que s’auto-congratuler d’avoir sauvé les « enfants de France » pendant le confinement ! ). Rappelons que les termes de « woke », et plus encore de « wokisme », désignant les personnes « éveillées », conscientes des discriminations racistes, sexistes, et de la lutte des classes, est teinté d’une forte connotation péjorative, notamment en France, où il est plutôt repris par l’extrême-droite. Pour Blanquer, sur la même position, il s’agit de combattre une sorte de mode de la repentance, comme quelques-mois plus tôt, lui et sa collègue à l’enseignement supérieur s’attaquaient à l’islamo-gauchisme (voir à ce sujet notre articleCe lien vous fait quitter le site.).
Pendant ce temps-là, un an après la mort de Samuel Paty, il ne nous a pas été donné de temps pour rendre hommage à notre collègue, et en débattre avec les élèves : tout a été organisé dans la précipitation et sans la moindre préparation.
La République selon Blanquer
Quelques jours plus tard, le Ministre nous livre la vision très étriquée qu’il a de la République, sur laquelle s’adosse celle qu’il a de la laïcité. Laissons-le parler (extraits de son discours de lancement du plan de formation sur la laïcité du 19 octobre) : « Lorsqu’on devient professeur, on devient fonctionnaire. Lorsqu’on est fonctionnaire de la République, on connaît les valeurs de la République et on les transmet. (…) Si quelqu’un a un problème avec les valeurs de la République, ça peut être possible sur le plan démocratique, en tant que citoyen français, par contre ce n’est pas possible en tant que fonctionnaire de la République. (…) Si vous voulez devenir plombier et que vous avez un problème avec les tuyaux, vous choisissez un autre métier. Il faut en faire un autre. Si vous devenez professeur, vous transmettez les valeurs de la République. Et si vous ne les transmettez pas et si même vous militez contre les valeurs de la République, éventuellement sortez de ce métier, parce que vous vous êtes trompés à un moment donné. (…) Ça n’a peut-être pas été assez clair dans le passé, ça va être désormais très clair dans le présent et dans le futur, au travers de la formation comme de la gestion de la carrière des personnes ».
Si, M. Blanquer, c’était très clair pour nous depuis votre arrivée au ministère : votre République et la nôtre sont clairement adversaires. Nous sommes résolument contre une version excluante, stigmatisante et raciste de la laïcité, nous sommes contre toute chasse aux sorcières rappelant les pires heures du maccarthysme. Par ces propos, le Ministre remet clairement en cause les textes qui encadrent l’indépendance des fonctionnaires (statuts de 1946 et 1983), cherchant à revenir à la situation de… 1941, quand le régime de Vichy demande la soumission pleine et entière de ses fonctionnaires.
Rappelons d’ailleurs que Blanquer n’est lui-même pas exemplaire en matière de laïcité, lui qui a permis par les communes la prise en charge des frais des écoles maternelles catholiques (loi de l’école de la confiance), fait la part belle de façon générale aux établissements privés catholiques dans le dernier budget présenté au Parlement, soutenu les écoles hors-contrat Espérance banlieues… la liste est longue !
Fascisme : « Idéologie (…) qui prône l’autorité du chef, le recours à la force (…) [et] s’exprime dans un nationalisme conquérant et la promotion d’une société inégalitaire »
Cette définition est extraite d’un manuel scolaireNote de bas de page numéro 1. Évidemment, la France de 1921 n’est pas l’Italie d’il y a un siècle, et Blanquer n’est pas Mussolini. Toutefois, sa politique réactionnaire et autoritaire nous permet d’établir quelques parallèles plus qu’inquiétants :
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le Ministre se comporte bien comme un chef autoritaire, ne supportant pas la critique, et se posant en messie sauveur des petit·es français·es contre le wokisme ;
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le ministère et ses services n’ont eu de cesse de réprimer les personnels s’opposant à sa politique (voir à ce sujet notre articleCe lien vous fait quitter le site.) ;
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l’idée de la République et de la laïcité défendue par le Ministre se base sur une idéologie conservartrice excluante, que de plus en plus de commentateur·rices qualifient de raciste.
Prendre conscience de cela ne nous laisse entrevoir que des perspectives bien sombres pour les mois à venir, notamment pour les élections. Pourtant, nous ne baisserons pas les bras. L’antifascisme est dans l’ADN de la CNT. Nous savons que les élections n’ont jamais vraiment changé la vie, et quel que soit le·a candidat·e qui en sortira vainqueur·e, nous, syndicalistes révolutionnaires, appelons les collègues à se syndiquer massivement, pour un 3e tour social qui inverse le rapport de force !
lelivrescolaire.fr, HGEMC 3e, 2021