Dans plusieurs établissements scolaires, des équipes cherchent à déployer le carnet de correspondance numérique dans les collèges via pronote, sous divers prétextes : ça coûte moins cher à l’établissement, c’est plus pratique, tout le monde a un smartphone…
Pourtant, ce déploiement pose un certain nombre de questions, pour ne pas dire de vrais problèmes, aussi bien éthiques qu’écologiques.
a) La fracture numérique
Quand bien même moins de 1 % des parents n’auraient pas accès à pronote via leur smartphone, nous pouvons considérer que ce moins de 1 % devrait déjà nous amener à refuser le passage au carnet numérique… ou alors l’Éducation nationale ne se considère plus comme un service public.
b) Les coûts écologiques et humains
On ne parle jamais du coût écologique du déploiement des outils numériques. Au contraire on nous fait souvent croire que l’utilisation de ces outils est écologique, parce que cela nous fait consommer moins de papier.
Il n’en est rien. Le carnet numérique nous fera encore plus utiliser pronote. Or les outils numériques impliquent le stockage de tout un tas de données sur des serveurs, extrêmement énergivores, alors même que l’électricité en France est essentiellement produite par le nucléaire. Ces serveurs et autres ordinateurs sont pleins de composants très difficiles à recycler, polluants, et qui font tourner à plein la machine extractiviste internationale (souvent dans des conditions de travail inhumaines pour les mineurs, il suffit de voir ce qu’il se passe en RDC rien que pour le lithium ou le cobalt).
Pour autant, il ne s’agit pas de prétendre que le papier est exempt d’impact écologique, mais on conviendra au minimum que c’est un matériau plus facilement recyclable que nos serveurs, data-centers, smartphones, ordinateurs, etc.
c) la dépendance au réseau électrique et à internet
Que se passe-t-il en cas de panne dans l’établissement ? Quel établissement n’a jamais connu de panne de courant ou de réseau internet, même provisoire ? Dans ces cas, le carnet de correspondance devient inaccessible.
d) la dépendance toujours plus forte à pronote, et le stockage des données
Le fait est que pronote est devenu un outil qui s’impose de plus en plus aux travailleur·euses de l’Éducation. Nous considérons que cet outil nous dépossède de notre liberté à choisir les outils avec lesquels nous souhaitons travailler, sans compter le fait que nous y sommes toujours plus connecté·es.
Par ailleurs, on peut s’interroger sur le stockage des données. Pour mémoire, pronote appartient à Index education, qui est une société privée. La licence pronote est une licence propriétaire. En ce sens, pronote est à l’opposé d’outils informatiques libres, dont nous défendons l’usage au quotidien. Certes, notre Ministère a passé un partenariat avec cette entreprise (à quel prix ? on en parle ?), ce qui pose sans doute quelques gardes-fous. Et le RGPD nous protège en partie. Mais ce qui a été fait (partenariats signés, RGPD, etc.) peut aussi être défait. Ainsi, rappelons-nous qu’il y a quelques années, du temps du sinistre Blanquer, on nous avait demandé de faire passer des évaluations à des élèves dont les données étaient stockées sur des serveurs d’Amazon en Irlande…
e) Les élèves n’auraient plus sur elleux leur carnet de correspondance
Cet argument est avancé par celleux qui veulent promouvoir le carnet numérique : les élèves perdent leur carnet, volontairement ou non. Mais dans ce cas notre rôle ne devrait-il pas être de comprendre pourquoi les élèves n’ont pas leur carnet (la plupart du temps, on sait bien pourquoi : il y a des mots qu’iels ne veulent pas faire signer à leurs parents), et y remédier ? En quoi serait-ce insurmontable ? Alors que, pendant des décennies, cette situation (réelle) n’était pas un problème, soudain cela le deviendrait ?
f) Imprimer les carnets, ça coûte cher
Face aux baisses de budget, les établissements cherchent à faire des économies partout où ils le peuvent, traquant quelques centaines ou milliers d’euros de dépenses jugées superflues. Cela laisse songeur… dans les établissements scolaires, nous en sommes vraiment arrivé·es à devoir économiser quelques centaines ou milliers d’euros pour arriver à l’équilibre budgétaire ? Quiconque s’est déjà pensé sur un budget d’établissement scolaire sait que ces sommes sont dérisoires au regard de la masse budgétaire totale.
Mais surtout : en quoi est-ce notre problème ? Utiliser l’argument du coût financier revient à nous demander de trouver nous-mêmes les solutions aux manques structurels de financement de l’Éducation nationale, aussi bien par l’État que par les collectivités territoriales. Nous ne sommes pas responsables de ces déficits, et ce serait à nous de les combler par des mesurettes ?
Quant au coût réel, non pas pour les établissements, mais pour la société, il est en réalité bien plus important si on prend en compte le coût écologique et énergétique (voir point b).
g) Le risque du flicage
On entend parfois en réunion des personnels de direction dire que tel·le ou tel·le parent ou élève ne s’est pas connecté depuis temps de temps à pronote. De fait, les administrateur·rices de pronote dans les établissements ont accès aux données de connexion de tou·tes les utilisateur·rices. Quand on y songe, on peut se dire qu’on a déjà basculé dans le cauchemar dystopique, où chaque utilisateur·rice de pronote est potentiellement fliqué sur l’usage qu’iel en fait (ou non, ce qui peut également être reproché). Les potentialités en terme de fichage sont énormes, et les dérives en cas d’interconnexion avec d’autres fichiers (le Répertoire National des Identifiants Élèves pour commencer, mais aussi toutes les autres bases de données concernant l’enfance, le social, l’insertion professionnelle, etc.) sont vertigineuses !