Le 6 septembre dernier, le tribunal électoral a fini par déclarer non recevables les accusations de fraude électorale qui pesaient sur le PRI, entérinant ainsi l’accès à la présidence du candidat Enrique Peña Nieto pour les six prochaines années. Pas de surprises, puisque l’Institut Fédéral Électoral est un des piliers de la corruption institutionnalisée. « Nous sommes les enfants des idéaux que vous n’avez pas réussi à assassiner » : malgré ce résultat, une grande partie de la société mexicaine s’organise depuis des mois pour construire, en lien avec des luttes populaires qui existent depuis des décennies, ce qui pourrait devenir un large mouvement de résistance.
Depuis le résultat des élections annoncé en juillet, qui donne la victoire au Parti Révolutionnaire Institutionnel (PRI) sur la coalition de gauche d’Andrés Manuel López Obrador, les manifestations et les actions de protestation n’ont pas cessé. Des milliers de personnes se sont rassemblées à Mexico, pendant des semaines, pour dénoncer la fraude électorale. « Le Mexique, sans le PRI », « Institut Fédéral Électoral, lâche, corrige les élections », « Le Mexique a voté et Peña Nieto n’a pas gagné » ont été les slogans criés par les manifestants : la plupart sont de jeunes étudiants, mais il y a eu aussi des travailleurs, des syndicalistes, des militants des mouvements sociaux. Certains ont soutenu Andrés Manuel López Obrador – d’autres, plus sceptiques, se méfient d’une gauche qui se plie au jeu électoral et dont le discours n’est pas assez combatif.
Après sa défaite en 2000 et conscient aussi de l’accusation de fraude électorale contre le PAN (Parti d’Action Nationale) en 2006, le Parti Révolutionnaire Institutionnel a eu le temps, pendant ces douze années, de se donner l’image d’un « nouveau PRI » et de se doter d’une machinerie politique forte, capable de reprendre le pouvoir ainsi que de vaincre toute possible accusation de fraude. Car il est évident qu’il n’a pas le soutien de la société mexicaine et que, sans cela, il ne pouvait reprendre le gouvernement.
Le PAN, incapable de se maintenir au pouvoir après ces années, a encouragé le retour du PRI afin de contrer ensemble la montée de la gauche : la connivence des deux partis pour garantir le pouvoir des élites économiques est évidente dans les propos de Calderón et de Peña Nieto lorsqu’ils envisagent de construire la transition « ensemble », et de se serrer les coudes dans la lutte contre le narcotrafic. Le PAN aura ainsi transmis la machinerie politique au PRI pour permettre aux oligarques de se maintenir au pouvoir. De son côté, le PRI a pu se consolider, grâce au soutien et au consentement du PAN, sans la peur d’être traduit en justice ni d’être accusé de corruption ou de répression. Et il ne faut certainement pas négliger le rôle des États-Unis dans l’affaire : l’administration Obama a salué la victoire du PRI en qualifiant ces élections 2012 comme la démonstration « de l’engagement de la population mexicaine avec les valeurs démocratiques grâce à un processus électoral libre, juste et transparent ».
Les élections de 2012 prouvent ainsi que la machine électorale a été bien engraissée et qu’elle a utilisé les mêmes tactiques essayées auparavant pour garantir la victoire. Cependant, l’idée de construire une victoire majoritaire qui assurerait la légitimité des élections s’est heurtée à la prise de conscience de la société mexicaine. En effet, l’ampleur des protestations, l’efficacité dans l’organisation du refus au résultat électoral apparaissent comme une alternative sociale au système que les gouvernements du PAN et du PRI tentent par tous les moyens de pérenniser. Alternative qui se veut l’héritière de « La otra campaña » et qui s’associe aux mouvements sociaux, tels que la « Caravane pour la paix » du poète Javier Sicilia, dans un projet de justice, de liberté et d’égalité pour le Mexique.
D’une part, une coalition de partis de gauche avait présenté, par la voie légale, de multiples preuves de fraude électorale. Il n’est pas seulement question de l’achat de cinq millions de votes, que López Obrador a tenté de dénoncer (des milliers de cartes pré-payées ont été données). La coalition avait aussi dénoncé l’enlèvement d’urnes, la destruction de votes, la surveillance de la part de groupes paramilitaires de certains bureaux de vote dans le nord du pays. Elle avait exigé une enquête sur l’utilisation de fonds publics dans des zones contrôlées par le PRI ainsi que l’utilisation d’argent qui proviendrait de sources illicites, dont le narcotrafic. L’accusation légale incluait également les témoignages de quelques enquêteurs, soudoyés pour faire avancer le PRI dans les sondages.
Or, cette voie légale est brusquement condamnée du moment où le tribunal électoral déclare nulles ces accusations. Cela ne signifie pas pour autant la fin des protestations : la prise du pouvoir au gouvernement aura lieu en décembre, ce qui donne encore une certaine marge de manœuvre aux mouvements sociaux pour redoubler leurs actions.
Car la société civile s’organise autour d’un mouvement inédit : en effet, l’évidence de fraude électorale a fait émerger un mouvement de jeunesse qui s’est rapidement répandu à l’aide des réseaux sociaux. Le mouvement « Yo soy 132 », né lors d’une visite du candidat Peña Nieto à une université de Mexico, s’est d’abord consacré à dénoncer la fraude : des mobilisations ont été décidées en assemblées populaires et ont eu lieu pour publier les preuves du mensonge électoral. Des journées de lutte pour empêcher la prise de pouvoir étaient prévues à Oaxaca, fin septembre. Ce mouvement, loin de disparaître après la résolution du Tribunal Électoral, se consolide et lutte à présent pour un changement radical de la société mexicaine qui doit nécessairement passer par un changement du système capitaliste. Il pose d’ailleurs un certain nombre de questions à l’égard du gouvernement mexicain, dénonçant l’avènement d’une dictature qui ne dit pas son nom et qui se cache sous des airs de démocratie. Leurs revendications recueillent celles de « La otra campaña » : plus de liberté, plus de justice, plus d’égalité, plus d’éducation, plus de santé… Un autre Mexique sera-t-il finalement possible ?
Lirios /Images : MacDuff