Énergie Jeunes : l’entrisme de la réaction et du libéralisme à l’école publique

Énergie jeunes est une asso recon­nue d’utilité publique exis­tant depuis une dizaine d’années. Elle a signé des par­te­na­riats avec de nom­breuses aca­dé­mies, mais pas celle de Rennes. Pourtant, elle com­mence déjà à inter­ve­nir par chez nous… mal­heu­reu­se­ment.

Si t’es nul, c’est de ta faute !

Cette asso­cia­tion a pour objec­tif de (re)donner le goût de l’effort et de la réus­site aux élèves par des tech­niques de coa­chings issues de la grande entre­prise, par l’écoute de témoi­gnages, et par un dis­cours assé­né au mar­teau-pilon et por­té par un dia­po­ra­ma de com­pé­ti­tion plein de man­tras du type « Entrez dans le match », « Mettre sa volon­té sur on », « Vous avez tel­le­ment de poten­tiel, ne vous cher­chez pas d’ex­cuses », « Faire par­tie des meilleurs n’est pas un hasard mais un choix », etc.

En agis­sant de la sorte, Énergie jeunes envoie aux oubliettes des décen­nies de tra­vaux et recherches en socio­lo­gie, à com­men­cer par les tra­vaux de Bourdieu qui a très bien mon­tré à quel point le milieu social jouait dans la repro­duc­tion des inéga­li­tés sco­laires. C’est encore ce que rap­pe­lait le socio­logue Bernard Lahire le 22 octobre der­nier à l’Université d’automne du SNU-ipp : qui peut croire que gran­dir dans un appar­te­ment de 120m2 ou dans une voi­ture ou en squat, avoir une nou­nou qui parle anglais ou ne pas être en contact avec la culture en dehors de l’école, des parents qui ont fait des études et connaissent le sys­tème sco­laire ou des parents avec une sco­la­ri­té courte déjà ponc­tuée d’ « échecs » sco­laires, n’impacterait pas la tra­jec­toire sco­laire des enfants ? Que pour s’en sor­tir, un peu de moti­va­tion suffira·it ? Pourtant, c’est ce qu’Énergie jeunes cherche à faire croire, en met­tant en avant les valeurs du dar­wi­nisme social.

Une asso sou­te­nue par tout le gra­tin du Cac 40

Outre cer­taines ins­ti­tu­tions, les par­te­naires les plus mis en avant sur le site de l’association sont des entre­prises pri­vées qui financent et sou­tiennent Énergie jeunes. Citons Airbus, BNP Paribas, Axa, L’Oréal, Nestlé, Manpower, Sanofi… par­mi des dizaines d’autres. Chacune de ces entre­prises est inci­tée à lais­ser un com­men­taire, dans les­quels on retrouve quelques pépites :

  • « Selon les prin­cipes de la Venture Philanthropy, nous avons contri­bué au ren­for­ce­ment des struc­tures d’Énergie Jeunes pour accom­pa­gner son chan­ge­ment d’échelle : res­sources humaines, fun­drai­sing, com­mu­ni­ca­tion et stra­té­gie » (DG de la fon­da­tion AlphaOmega)

  • « La Poste, un des tout pre­miers employeurs en France, conduit une poli­tique active en faveur de l’insertion des jeunes (recru­te­ment en CDI, for­ma­tion en alter­nance, accueil en stages) et pour l’égalité des chances » (RH La Poste)

  • « Le volon­ta­riat avec Énergie Jeunes per­met d’ouvrir nos sala­riés à la diver­si­té sociale, et de déve­lop­per leur com­pé­tence d’animation » (DG Seb)

Avec ce type de sou­tiens, on peut légi­ti­me­ment dou­ter de la neu­tra­li­té du dis­cours tenu par les intervenant·es de l’asso, neu­tra­li­té qui ne s’applique pas qu’aux opi­nions poli­tiques ou reli­gieuses à l’école publique, rap­pe­lons-le.

Ce sou­tien n’est évi­dem­ment pas que moral, mais bien finan­cier. Ces grandes entre­prises sub­ven­tionnent Énergie jeunes par le biais de tout un tas de fon­da­tions, qui sont autant de moyens de payer moins d’impôts. Finalement, Énergie jeunes, qui pré­sente son inter­ven­tion comme gra­tuite, est finan­cée par des sub­ven­tions ver­sées par des fon­da­tions de grandes entre­prises pour payer moins d’impôts… cette asso est donc finan­cée par un manque à gagner pour l’administration fis­cale !

Nous appe­lons donc l’ensemble des per­son­nels à être vigilant·es, à ne pas se lais­ser ber­cer et séduire par la nov­langue mana­gé­riale d’Énergie jeunes, et à refu­ser de leur ouvrir les portes de nos éta­blis­se­ments !