Chronique syndicale #2 - La comédie syndicale
Chronique syndicale #2 - La comédie syndicale

Chronique Syndicale #2 – La comédie syndicale

Depuis quatre ou cinq semaines des mou­ve­ments agitent les dif­fé­rents sites pour des reven­di­ca­tions sala­riales. Et c’est un petit mil­lier de salarié·e·s qui est réuni au pied de la tour où est ins­tal­lé le siège du groupe. Beaucoup de col­lègues de la région pari­sienne, mais aus­si de pro­vince, sont venu·e·s dans des cars affré­tés par les CSE.

Une délé­ga­tion a été reçue. Oh, pas par le PDG ! C’est le DRH France et le DRH Monde qui reçoivent la délé­ga­tion syn­di­cale. Pendant qu’ils sont là-haut à dis­cu­ter, les salarié·e·s patientent joyeu­se­ment au bas de la tour devant quelques flics en uni­forme ou en civil.

Évidemment la porte d’entrée est fer­mée, la direc­tion a posé des bar­rières pour cana­li­ser tout mou­ve­ment de foule et la dizaine de flic barre le pas­sage.

Tout a été bien pré­pa­ré. Le bas de la tour est déco­ré de ban­de­roles, dra­peaux et auto­col­lants. Sur un stand on offre des bois­sons chaudes, et une grosse sono nous en met plein les oreilles. Parfois des repré­sen­tants syn­di­caux font un peu d’animation en pous­sant la foule à répondre à leurs slo­gans. Comme dans toute les « Manif-Merguez », on retrouve les per­son­nages habi­tuels : « l’énervé » plus radi­cal que le plus radi­cal qui dit par­tout qu’il va entrer en force, « le sapin de Noël » dans son cos­tume de mani­fes­tant cou­vert de pin’s comme autant de preuve d’engagement, le « bon vivant » qui a tou­jours à la main une bière ou un sand­wich mer­guez et le « chef » qui rap­pelle tout le monde à l’ordre…

Ah ! La délé­ga­tion revient. Les repré­sen­tants syn­di­caux prennent la parole les uns après les autres : la direc­tion n’apporte rien de nou­veau. En fai­sant le tour des manifestant·e·s, « l’énervé » réus­si à ras­sem­bler une petite ving­taine de salarié·e·s qui tente une pous­sée en direc­tion de la porte. Le « sapin de Noël » et le « bon-vivant » sortent leurs télé­phones pour immor­ta­li­ser l’affrontement.

Quel mau­vais sketch ! Pas un ton­fa de sor­tie, ni même une piche­nette de gaz lacry­mo dans l’air et après moins d’une minute de molle bous­cu­lade, tout le monde retourne à sa place.

Comme on pou­vait s’y attendre, le « chef » vient cal­mer les pous­seurs et pous­seuses, et engueule « l’énervé » pen­dant que le « sapin de Noël » et le « bon vivant » jouent les grands stra­tèges à grand coup de « Y’avait qu’à faire ci ou ça ». Il faut dire que la direc­tion vient de féli­ci­ter la délé­ga­tion pour leur « enga­ge­ment res­pon­sable » à bien cadrer le mou­ve­ment (sic…). On com­prend aus­si assez vite que per­sonne n’avait vrai­ment l’intention d’entrer au siège y com­pris « l’énervé » : der­rière le stand de bois­sons chaudes et la sono, une porte d’accès sans le moindre flic est mal refer­mée pour lais­ser pas­ser les câbles élec­triques néces­saires à l’alimentation des amplis et des cafe­tières. C’est tel­le­ment bien orga­ni­sé qu’une gou­lotte noire et jaune a même été pla­cée sur les câbles pour évi­ter que quelqu’un tré­buche et tombe.

« L’énervé » se van­te­ra d’être le seul à avoir des c……s et le « chef » se van­te­ra d’être en mesure de contrô­ler ses troupes. Accessoirement, il agi­te­ra « l’énervé » devant la direc­tion comme un épou­van­tail…

Nous n’étions plus qu’une ving­taine lorsque les flics sont venus nous voir avec un sou­rire fiel­leux : « La mani­fes­ta­tion a été décla­rée jusqu’à 14h. Passé cet horaire, nous com­men­ce­rons à ver­ba­li­ser ! » Et la liber­té de mani­fes­ter ? Ce n’est pas leur pro­blème. Dans leur esprit étroit une mani­fes­ta­tion qui n’est plus décla­rée devient inter­dite…

Encadrée par des délé­gués auto­pro­cla­més, ani­mée par des comé­diens, contrô­lée par des simples d’esprits flics, la liber­té de mani­fes­ter n’est plus qu’une vaste blague. Pas sûr que le syn­di­ca­lisme res­sorte gran­di de ce genre de mas­ca­rade…