Près de cin­quante per­son­na­li­tés affirment leur sou­tien à Libre Flot en grève de la faim pour pro­tes­ter contre sa déten­tion pro­vi­soire sous un régime d’i­so­le­ment qui l’empêche de pré­pa­rer sa défense.

L’Union Locale CNT de Rennes et envi­rons (UL CNT 35) a sou­hai­té s’as­so­cier aux signa­taires de cette tri­bune, ini­tia­le­ment publié sur le site de poli­tis :www.politis.fr/pour-le-droit-de-se-defendre

Dimanche 27 février un mili­tant, pla­cé en déten­tion pro­vi­soire depuis 15 mois et main­te­nu illé­ga­le­ment sous le régime de l’isolement, a enta­mé une grève de la faim. Pour Libre Flot (sur­nom), il s’agit du der­nier moyen à sa dis­po­si­tion, aux risques de graves séquelles phy­siques, pour ten­ter de se défendre d’une accu­sa­tion qu’il rejette avec force. Il est en effet mis en exa­men, avec six autres per­sonnes aujourd’hui sous contrôle judi­ciaire, dans une affaire d’« asso­cia­tion de mal­fai­teurs ter­ro­riste ». Il s’agit de la pre­mière incul­pa­tion de ce genre visant un « groupe d’ultragauche » depuis la reten­tis­sante affaire dite « de Tarnac » en 2008, qui avait tour­né au fias­co pour les ser­vices de ren­sei­gne­ment et la jus­tice anti­ter­ro­riste et devait finir dans ans plus tard par une relaxe qua­si-géné­rale.

Si les arres­ta­tions des sept inculpé.es du 8 décembre 2020 ont été moins média­ti­sées que celles de 2008, ce qui res­sort du conte­nu du dos­sier dans la presse ne peut qu’interroger.

L’enquête, ouverte depuis 10 mois au moment des arres­ta­tions, ne laisse appa­raître aucune éla­bo­ra­tion concrète de pro­jet d’attentat – ni même d’une esquisse de pro­jet –, mais seule­ment une bien vague « inten­tion de s’en prendre aux forces de l’ordre ». Aucun pro­jet pré­cis, a for­tio­ri aucun pro­jet ter­ro­riste, et encore moins de pro­jet ter­ro­riste immi­nent ne viennent donc jus­ti­fier les arres­ta­tions en ce mois de décembre 2020. En revanche, celles-ci inter­viennent oppor­tu­né­ment au moment où un vaste mou­ve­ment ques­tion­nait le rôle de la police dans notre socié­té, à la suite du sou­lè­ve­ment récent contre les crimes poli­ciers aux États-Unis et de la dif­fu­sion virale d’une vidéo dans laquelle on pou­vait voir des agents pari­siens tabas­sant un homme noir, Michel Zecler. Mouvement que le gou­ver­ne­ment, devant l’impossibilité de nier dans ce contexte l’existence de « vio­lences poli­cières », cher­chait alors à conte­nir en agi­tant le spectre des « cas­seurs », « black blocs » et autres « gilets jaunes radi­ca­li­sés ».

Il appa­raît ensuite que l’enquête est prin­ci­pa­le­ment moti­vée par la pré­sence de Libre Flot aux côtés des YPG du Rojava, par­mi d’autres mili­tants inter­na­tio­na­listes, dans la bataille contre Daesh à Raqqa en 2017. Depuis son retour, il était en effet sur­veillé par les ser­vices de la direc­tion géné­rale de la sécu­ri­té inté­rieure (DGSI) qui le soup­çonnent de cher­cher à consti­tuer autour de lui un groupe de lutte armée. La DGSI avait déjà ten­té d’appliquer à d’autres per­sonnes ce fan­tasme du vété­ran reve­nu du Rojava pour prendre les armes en France, avant d’être démen­tie par la jus­tice, et ce dans un contexte plus large de cri­mi­na­li­sa­tion des luttes pour l’autodétermination du peuple kurde en Europe. Alors que des mil­liers d’internationaux s’engagent en ce moment-même pour défendre l’Ukraine, l’iniquité de l’utilisation à charge de l’implication dans le pro­jet com­mu­na­liste au Rojava saute aux yeux – sans par­ler de la qua­li­fi­ca­tion ter­ro­riste pour quelqu’un qui a contri­bué à la chute de l’État Islamique.

De sa grève de la faim, Libre Flot n’attend la satis­fac­tion que d’une seule reven­di­ca­tion : qu’on le libère pour lui per­mettre de pré­pa­rer sa défense. D’autres inculpé.es dans cette affaire ont dû attendre des mois – le temps que la cour d’appel ne contre­dise le juge d’instruction – avant d’avoir sim­ple­ment accès au dos­sier, et donc à ce qu’on leur reproche pré­ci­sé­ment. Les écoutes ser­vant de base à l’accusation (dont la léga­li­té est contes­tée par cer­tains avo­cats) ont mis plus de 7 mois avant d’être acces­sibles à la défense.

Libre Flot a décrit, dans plu­sieurs lettres publiques, la réa­li­té gla­çante des effets du régime de l’isolement sur le corps et l’esprit (pertes de mémoire, ver­tige, dou­leurs tho­ra­ciques, trouble de la concen­tra­tion, perte de repère spa­tio-tem­po­rel, hébé­tude, etc.). C’est dans cet état qu’il est cen­sé se défendre d’une machi­ne­rie kaf­kaïenne dans laquelle l’absence d’éléments maté­riels joue à charge, parce qu’il faut réfu­ter non pas tant des faits que la construc­tion d’un récit. Les inculpé.es de Tarnac avaient fini par obte­nir la déqua­li­fi­ca­tion ter­ro­riste, en 2017 après neuf ans de bataille judi­ciaire, en fai­sant acter par la cour de cas­sa­tion que les faits qui leur étaient repro­chés (le sabo­tage de l’alimentation élec­trique de lignes TGV) n’avaient pas été com­mis « en rela­tion avec une entre­prise ayant pour but de trou­bler gra­ve­ment l’ordre public par l’in­ti­mi­da­tion ou la ter­reur ». Mais com­ment se défendre quand il n’est repro­ché que des « inten­tions » sup­po­sées ?

Aujourd’hui la déci­sion de renou­vel­le­ment du main­tien à l’isolement de Libre Flot vient d’être vali­dée pour la seconde fois par le ministre de la Justice. Depuis le début ce régime lui est impo­sé sur la seule base de la qua­li­fi­ca­tion « ter­ro­riste » de l’affaire, sans rap­port avec son com­por­te­ment en déten­tion, alors que cette mesure n’est cen­sée être jus­ti­fiée que par des consi­dé­ra­tions rele­vant de la sécu­ri­té du déte­nu ou de la pri­son. Éric Dupond-Moretti, prompt à retrou­ver sa verve d’avocat pour dénon­cer les ins­truc­tions mon­tées uni­que­ment à charge quand il s’agit de plai­der sa propre cause ne semble pas par­ti­cu­liè­re­ment ému par l’utilisation du régime de l’isolement comme moyen de pres­su­ri­ser un pré­ve­nu et de l’empêcher de pré­pa­rer sa défense. Libre Flot reste donc pri­vé de contact humain jusqu’à nou­vel ordre.

Combien de temps devra encore durer sa grève de la faim avant qu’il n’obtienne le droit élé­men­taire – et d’autant plus impor­tant que l’accusation est lourde – de se défendre dans des condi­tions décentes ?