Nous avions déjà publié un précédent article sur l’association Énergie jeunes. Parce que cette association continue de tisser sa toile dans le département (présente dans au moins quatre collèges, elle continue de démarcher de nouveaux établissements), nous avons recueilli le témoignage d’une jeune (dont nous avons changé le prénom) qui a subi leurs interventions l’année dernière.
Maëlle est élève dans un collège d’Ille-et-Vilaine. Elle a eu la chance de bénéficier de l’apport des bénévoles d’Énergie jeunes, une association qui a pour objectif de (re)donner le goût de l’effort et de la réussite aux élèves par des techniques de coachings issues de la grande entreprise, par l’écoute de témoignages, et par un discours asséné au marteau-pilon et porté par un diaporama de compétition plein de mantras du type « Faire partie des meilleurs n’est pas un hasard mais un choix », « Avec votre potentiel, ne vous cherchez pas d’excuses »… Elle a bien voulu partager son expérience.
« Je suis en classe de 4e et une association qui s’appelle Énergie jeunes est intervenue dans mon collège. Je ne sais pas pourquoi iels sont venus, mais c’était généralement sur les heures de vie de classe. Deux hommes et une femme, plutôt vieux, sont venu·es nous voir trois fois en 5e, et trois fois cette année. Iels ont expliqué qu’iels étaient retraité·es, qu’iels s’appelaient Martine et Gérard, des prénoms de ce genre, on n’a rien su d’autre d’eux. Iels ont dit qu’iels étaient là pour nous apprendre à être motivé·es, à bien travailler, à avoir un bon métier plus tard.
Chaque séance se passe à peu près pareil. D’abord, iels nous fixent un objectif. En fait, c’est toi qui dois le faire normalement, tu dois l’écrire sur une feuille, mais ensuite iels passent dans les rangs, iels regardent ce que tu as écrit et si ça ne leur plaît pas, iels te disent de changer. Quand l’objectif leur va, tu peux l’écrire sur un autocollant que tu colles dans ton cahier de liaison, mais si tu n’écris pas bien, tu dois recommencer. La séance d’après, iels nous demandent si nous avons rempli les objectifs, mais la plupart du temps personne ne s’en souvient. Des fois, les objectifs qu’iels nous fixent sont juste débiles, du genre « améliorer la moyenne » alors qu’iels reviennent un mois après, au milieu du trimestre.
Iels commencent par une vidéo, genre la chanteuse Minissia qui dit comment elle a réussi avec Énergie jeunes. Ensuite, iels te donnent plein de papiers que tu dois lire, et te donnent des petits cartons de couleur (jaune, bleu, vert, rouge) pour dire si tu es d’accord ou pas d’accord. Quand tu dis « autre » tu dois te justifier, et tu n’as pas le droit de ne pas avoir d’avis. Quand tu n’as pas envie de parler ou d’expliquer ce que tu penses, iels te forcent et tu te ridiculises devant tout le monde.
Au début, iels mettent au tableau une « charte de la bienveillance », avec des règles débiles. Dès que quelqu’un·e se met à parler, utilise un mot qu’iels ne connaissent pas, dérange la classe, iels lèvent les yeux au ciel ou se mettent à hurler. On a eu une intervention qui expliquait qu’il ne fallait pas se venger, parce que ça n’apporte que des problèmes. Tout ce qu’iels nous disent, on le sait déjà, du coup tu passes trois heures à ne rien apprendre dans le bordel avec des gens désagréables. Le prof principal est dans la classe, il ne fait rien, on voit qu’il s’en fout. Tout le monde s’en fout.
Chaque année, à la dernière séance, iels te donnent un petit questionnaire « anonyme », où tu dois inscrire ton nom, prénom, ta classe et ton collège, où iels te demandent ce que tu as pensé des séances, si tu en as parlé à tes parents, si tu vas en faire quelque chose… Pour moi, c’était juste trois heures que j’aurais préféré passer à faire cours. Je sais pas si iels reviendront l’année prochaine, j’espère que non. »
Note : ce texte sera publié dans le prochain numéro de n’autre revue fédérale, La mauvaise herbe, à paraître début 2024