Mexique 2012 : retour de la dictature parfaite ?

Le 6 sep­tembre der­nier, le tri­bu­nal élec­to­ral a fini par décla­rer non rece­vables les accu­sa­tions de fraude élec­to­rale qui pesaient sur le PRI, enté­ri­nant ain­si l’accès à la pré­si­dence du can­di­dat Enrique Peña Nieto pour les six pro­chaines années. Pas de sur­prises, puisque l’Institut Fédéral Électoral est un des piliers de la cor­rup­tion ins­ti­tu­tion­na­li­sée. « Nous sommes les enfants des idéaux que vous n’avez pas réus­si à assas­si­ner » : mal­gré ce résul­tat, une grande par­tie de la socié­té mexi­caine s’organise depuis des mois pour construire, en lien avec des luttes popu­laires qui existent depuis des décen­nies, ce qui pour­rait deve­nir un large mou­ve­ment de résis­tance.

Depuis le résul­tat des élec­tions annon­cé en juillet, qui donne la vic­toire au Parti Révolutionnaire Institutionnel (PRI) sur la coa­li­tion de gauche d’Andrés Manuel López Obrador, les mani­fes­ta­tions et les actions de pro­tes­ta­tion n’ont pas ces­sé. Des mil­liers de per­sonnes se sont ras­sem­blées à Mexico, pen­dant des semaines, pour dénon­cer la fraude élec­to­rale. « Le Mexique, sans le PRI », « Institut Fédéral Électoral, lâche, cor­rige les élec­tions », « Le Mexique a voté et Peña Nieto n’a pas gagné » ont été les slo­gans criés par les mani­fes­tants : la plu­part sont de jeunes étu­diants, mais il y a eu aus­si des tra­vailleurs, des syn­di­ca­listes, des mili­tants des mou­ve­ments sociaux. Certains ont sou­te­nu Andrés Manuel López Obrador – d’autres, plus scep­tiques, se méfient d’une gauche qui se plie au jeu élec­to­ral et dont le dis­cours n’est pas assez com­ba­tif.

Après sa défaite en 2000 et conscient aus­si de l’accusation de fraude élec­to­rale contre le PAN (Parti d’Action Nationale) en 2006, le Parti Révolutionnaire Institutionnel a eu le temps, pen­dant ces douze années, de se don­ner l’image d’un « nou­veau PRI » et de se doter d’une machi­ne­rie poli­tique forte, capable de reprendre le pou­voir ain­si que de vaincre toute pos­sible accu­sa­tion de fraude. Car il est évident qu’il n’a pas le sou­tien de la socié­té mexi­caine et que, sans cela, il ne pou­vait reprendre le gou­ver­ne­ment.

Le PAN, inca­pable de se main­te­nir au pou­voir après ces années, a encou­ra­gé le retour du PRI afin de contrer ensemble la mon­tée de la gauche : la conni­vence des deux par­tis pour garan­tir le pou­voir des élites éco­no­miques est évi­dente dans les pro­pos de Calderón et de Peña Nieto lorsqu’ils envi­sagent de construire la tran­si­tion « ensemble », et de se ser­rer les coudes dans la lutte contre le nar­co­tra­fic. Le PAN aura ain­si trans­mis la machi­ne­rie poli­tique au PRI pour per­mettre aux oli­garques de se main­te­nir au pou­voir. De son côté, le PRI a pu se conso­li­der, grâce au sou­tien et au consen­te­ment du PAN, sans la peur d’être tra­duit en jus­tice ni d’être accu­sé de cor­rup­tion ou de répres­sion. Et il ne faut cer­tai­ne­ment pas négli­ger le rôle des États-Unis dans l’affaire : l’administration Obama a salué la vic­toire du PRI en qua­li­fiant ces élec­tions 2012 comme la démons­tra­tion « de l’engagement de la popu­la­tion mexi­caine avec les valeurs démo­cra­tiques grâce à un pro­ces­sus élec­to­ral libre, juste et trans­pa­rent ».

Les élec­tions de 2012 prouvent ain­si que la machine élec­to­rale a été bien engrais­sée et qu’elle a uti­li­sé les mêmes tac­tiques essayées aupa­ra­vant pour garan­tir la vic­toire. Cependant, l’idée de construire une vic­toire majo­ri­taire qui assu­re­rait la légi­ti­mi­té des élec­tions s’est heur­tée à la prise de conscience de la socié­té mexi­caine. En effet, l’ampleur des pro­tes­ta­tions, l’efficacité dans l’organisation du refus au résul­tat élec­to­ral appa­raissent comme une alter­na­tive sociale au sys­tème que les gou­ver­ne­ments du PAN et du PRI tentent par tous les moyens de péren­ni­ser. Alternative qui se veut l’héritière de « La otra cam­paña » et qui s’associe aux mou­ve­ments sociaux, tels que la « Caravane pour la paix » du poète Javier Sicilia, dans un pro­jet de jus­tice, de liber­té et d’égalité pour le Mexique.

D’une part, une coa­li­tion de par­tis de gauche avait pré­sen­té, par la voie légale, de mul­tiples preuves de fraude élec­to­rale. Il n’est pas seule­ment ques­tion de l’achat de cinq mil­lions de votes, que López Obrador a ten­té de dénon­cer (des mil­liers de cartes pré-payées ont été don­nées). La coa­li­tion avait aus­si dénon­cé l’enlèvement d’urnes, la des­truc­tion de votes, la sur­veillance de la part de groupes para­mi­li­taires de cer­tains bureaux de vote dans le nord du pays. Elle avait exi­gé une enquête sur l’utilisation de fonds publics dans des zones contrô­lées par le PRI ain­si que l’utilisation d’argent qui pro­vien­drait de sources illi­cites, dont le nar­co­tra­fic. L’accusation légale incluait éga­le­ment les témoi­gnages de quelques enquê­teurs, sou­doyés pour faire avan­cer le PRI dans les son­dages.

Or, cette voie légale est brus­que­ment condam­née du moment où le tri­bu­nal élec­to­ral déclare nulles ces accu­sa­tions. Cela ne signi­fie pas pour autant la fin des pro­tes­ta­tions : la prise du pou­voir au gou­ver­ne­ment aura lieu en décembre, ce qui donne encore une cer­taine marge de manœuvre aux mou­ve­ments sociaux pour redou­bler leurs actions.

Car la socié­té civile s’organise autour d’un mou­ve­ment inédit : en effet, l’évidence de fraude élec­to­rale a fait émer­ger un mou­ve­ment de jeu­nesse qui s’est rapi­de­ment répan­du à l’aide des réseaux sociaux. Le mou­ve­ment « Yo soy 132 », né lors d’une visite du can­di­dat Peña Nieto à une uni­ver­si­té de Mexico, s’est d’abord consa­cré à dénon­cer la fraude : des mobi­li­sa­tions ont été déci­dées en assem­blées popu­laires et ont eu lieu pour publier les preuves du men­songe élec­to­ral. Des jour­nées de lutte pour empê­cher la prise de pou­voir étaient pré­vues à Oaxaca, fin sep­tembre. Ce mou­ve­ment, loin de dis­pa­raître après la réso­lu­tion du Tribunal Électoral, se conso­lide et lutte à pré­sent pour un chan­ge­ment radi­cal de la socié­té mexi­caine qui doit néces­sai­re­ment pas­ser par un chan­ge­ment du sys­tème capi­ta­liste. Il pose d’ailleurs un cer­tain nombre de ques­tions à l’égard du gou­ver­ne­ment mexi­cain, dénon­çant l’avènement d’une dic­ta­ture qui ne dit pas son nom et qui se cache sous des airs de démo­cra­tie. Leurs reven­di­ca­tions recueillent celles de « La otra cam­paña » : plus de liber­té, plus de jus­tice, plus d’égalité, plus d’éducation, plus de san­té… Un autre Mexique sera-t-il fina­le­ment pos­sible ?

Lirios /​Images : MacDuff