Rennes : mineurs isolés en déshérence

Sur la façade du vieux bâti­ment aux volets clos, un écri­teau, « per­mis de démo­lir, construc­tion d’un immeuble avec maga­sins au rez-de-chaus­sée. » L’intérieur de l’hô­tel témoigne, par sa vétus­té, de ce futur aban­don. Tas de pous­sière dans l’angle des murs, papiers jetés au sol, sani­taires dou­teux. D’évidence, aucun entre­tien. Là vivent depuis quelques semaines, plu­sieurs mois pour cer­tains, 21 jeunes étran­gers arri­vés seuls en France. Ils se disent mineurs et pro­duisent des docu­ments qui attestent de leur âge. Ils sont ceux qu’on nomme Mineurs Isolés Étrangers : M.I.E. Ils viennent du Congo Kinshasa (RDC) et d’Angola pour la plu­part d’entre eux.

L’accueil et la prise en charge des mineurs iso­lés, qu’ils soient fran­çais ou non, sont de la res­pon­sa­bi­li­té du Conseil Général du dépar­te­ment. Les Conseils Généraux « socia­listes » notam­ment ceux de Seine Saint-Denis et d’Ille-et-Vilaine se plaignent de la charge bud­gé­taire qu’im­pose la prise en charge des MIE dont le nombre a aug­men­té rapi­de­ment depuis quelques années.

Depuis sep­tembre 2011 la crise est ouverte.

Signalée dès 2010 (rap­port Isabelle Debré), la satu­ra­tion des dis­po­si­tifs d’ac­cueil des MIE pro­voque un clash dans le 93 entre le Conseil Général et le gou­ver­ne­ment. Claude Bartolone, Président PS du CG 93, annonce en juillet 2011 que, sans aide sup­plé­men­taire de l’État, le dépar­te­ment n’ac­cueille­ra plus les MIE à par­tir du 1er sep­tembre, ses ser­vices ren­ver­ront sys­té­ma­ti­que­ment les mineurs vers les ser­vices de la Protection Judiciaire de la Jeunesse (PJJ). Il entend par ailleurs sai­sir la jus­tice admi­nis­tra­tive « pour obte­nir une com­pen­sa­tion finan­cière de la prise en charge des mineurs iso­lés étran­gers ». Cette posi­tion intro­duit une inco­hé­rence ins­ti­tu­tion­nelle majeure : la PJJ n’a plus com­pé­tence à prendre en charge des jeunes autres que délin­quants, dans la mesure où l’or­don­nance de 1945 sur la jeu­nesse délin­quante a été vidée de sa sub­stance par le gou­ver­ne­ment Sarkozy. Cette pro­po­si­tion a d’ailleurs été tout de suite blo­quée par le Ministère de la Justice qui a inti­mé l’ordre à la PJJ 93 de refu­ser cette prise en charge des MIE. Résultat de ce bras de fer impo­sé à l’État par le CG 93 (avec, certes, des rai­sons pour une part com­pré­hen­sibles) : des dizaines de jeunes à la rue pen­dant la période qui a pré­cé­dé un accord entre Conseil Général et État.

Le Conseil Général d’Ille-et-Vilaine a emboî­té le pas au 93, sans en arri­ver cepen­dant à de telles extré­mi­tés.

Rozenn Geffroy, vice-pré­si­dente du Conseil Général : « le 2 jan­vier, les jeunes qui vont se pré­sen­ter dans les ser­vices dépar­te­men­taux, on ne va pas leur fer­mer la porte au nez. On va les accom­pa­gner à la PJJ et au Tribunal, pour que déci­sion soit prise ou non de leur prise en charge par l’État… » Même impasse que dans le 93 !

L’Ille-et-Vilaine est le troi­sième dépar­te­ment d’ac­cueil des MIE en France après Paris et le 93 (335 en 2011 contre 5 en 2000). Jusqu’à 2010, son Président Jean-Louis Tourenne : « Suspendre l’ac­cueil des jeunes à comp­ter du 2 jan­vier, si aucune solu­tion n’est pro­po­sée d’i­ci là, j’en suis réduit à vous faire cette pro­po­si­tion, je ne vois pas d’autre porte de sor­tie.»

À Rennes,à l’au­tomne 2010, au cours de réunions regrou­pant tra­vailleurs sociaux, asso­cia­tions de défense des Droits Humains, syn­di­cats, par­tis poli­tiques, une inquié­tude quant à la prise en charge des MIE s’é­tait vive­ment expri­mée devant, déjà, le constat d’une dégra­da­tion. Le Conseil Général, sol­li­ci­té, avait accep­té des ren­contres pour échan­ger sur la situa­tion et d’é­ven­tuelles pro­po­si­tions. Le dia­logue, lors de trois ren­contres, fut enga­gé dans la période qui pré­cé­da les élec­tions de mars 2011. Il fut inter­rom­pu après les élec­tions de manière uni­la­té­rale par le Conseil Général au pre­mier pré­texte venu.

Que des jeunes crou­pissent dans un état de qua­si-aban­don dans des hôtels de Rennes est la suite logique de cette incu­rie du Conseil Général. Le « nou­veau dis­po­si­tif d’ac­cueil » dont on vou­drait nous faire croire qu’il est à la fois réa­liste (tenant compte des moyens) et humain (res­pec­tant le devoir d’ac­cueil des jeunes étran­gers iso­lés) est avant tout un sas dont la fonc­tion prin­ci­pale est de per­mettre le tri entre « vrais » mineurs et « faux » mineurs. Tout en affir­mant que la fraude est un phé­no­mène mar­gi­nal qui ne pèse pas de manière signi­fi­ca­tive sur la charge glo­bale, le Conseil Général per­siste. Les docu­ments d’é­tat civil pré­sen­tés par les jeunes sont régu­liè­re­ment soup­çon­nés d’être des faux. Des exa­mens osseux dont la vali­di­té est lar­ge­ment contes­tée par les scien­ti­fiques, sont pra­ti­qués de manière sys­té­ma­tique, accom­pa­gnés d’ob­ser­va­tions du déve­lop­pe­ment géni­tal. Ces exa­mens sont pra­ti­qués sans l’ac­cord du jeune, sou­vent sans inter­prète. Les jeunes en disent l’hu­mi­lia­tion alors res­sen­tie.

La fina­li­té de cette période d’at­tente est de tra­quer les fraudes. En véri­té il s’a­git de par­ve­nir à un nombre maxi­mum de refus de prise en charge. Cette inten­tion non dite s’a­vère effi­cace : la plu­part des jeunes ain­si « éva­lués » au cours d’une période plus ou moins longue, sont décla­rés majeurs et se voient reje­tés du dis­po­si­tif de prise en charge. Déclarés « majeurs » ils sont à la rue, sans pers­pec­tive de vie en France. Pas de for­ma­tion, pas de tra­vail. Ils deviennent des « sans-papiers » ordi­naires, un peu plus dému­nis que d’autres car sans famille en France et le plus sou­vent sans rela­tions. Au pre­mier contrôle poli­cier ils seront l’ob­jet d’une Obligation à Quitter le Territoire Français (OQTF) et pla­cés au Centre de Rétention Administrative (CRA) en atten­dant l’ex­pul­sion appe­lée pudi­que­ment « mise en œuvre d’une mesure d’é­loi­gne­ment ».

Les jeunes qui au bout du compte sont recon­nus mineurs sont pla­cés en foyer ou en famille d’ac­cueil. Il est alors pos­sible d’en­vi­sa­ger une for­ma­tion et donc des pers­pec­tives d’a­ve­nir, mais le par­cours du com­bat­tant n’est pas ter­mi­né pour eux.

Devenus majeurs, ils devront pour conti­nuer leur cur­sus (le plus sou­vent for­ma­tions courtes et pro­fes­sion­na­li­santes) béné­fi­cier d’un « contrat jeune majeur » et pen­ser à une demande de régu­la­ri­sa­tion qui n’i­ra pas sans dif­fi­cul­tés.

Dans les foyers, le tra­vail des édu­ca­teurs est remar­quable le plus sou­vent, les résul­tats en témoignent. Les jeunes pla­cés en famille d’ac­cueil ren­contrent par­fois, quant à eux, des dif­fi­cul­tés rela­tion­nelles qui rendent leur adap­ta­tion pro­blé­ma­tique. Les mani­fes­ta­tions de pré­ju­gés racistes ne sont pas inexis­tantes dans des familles peu pré­pa­rées à l’ac­cueil de per­sonnes « de cou­leur ».

Ceci n’é­tant pas remis en cause, le dis­po­si­tif per­met­tant, en cas de pro­blème, d’o­pé­rer les réajus­te­ments adé­quats, cette prise en charge n’est attri­buée que de manière par­ci­mo­nieuse aux jeunes étran­gers qui arrivent ici. Mais trop de dégâts ont été com­mis avant.

Il faut reve­nir sur cette période d’at­tente durant laquelle le jeune, dans l’in­quié­tude de son deve­nir est sous le cou­pe­ret de la déci­sion qui va le reje­ter ou l’in­té­grer.

Le lieu, c’est vu. C’est pour­ri, là et ailleurs. Le temps passe : rien à faire. L’attente.

Le lieu c’est aus­si l’in­cer­ti­tude. Un jour le tôlier dit : vous par­tez demain, le contrat est ter­mi­né. Où ira-t-on ? Marchandise indé­si­rable on sera trans­por­té ailleurs. Sans idée sur la suite. Les éducs de la mis­sion d’ac­cueil mise en place par le Conseil Général passent quelques fois, le plus sou­vent pour un ren­dez-vous, notam­ment chez le méde­cin spé­cia­liste des tests osseux.

Ils tardent à s’oc­cu­per des choses les plus élé­men­taires : carte de bus, par exemple. De sco­la­ri­sa­tion ou d’une for­ma­tion il n’est pas ques­tion mal­gré les pro­messes ini­tiales. Il n’est pas cer­tain non plus que les besoins fon­da­men­taux : nour­ri­ture, hygiène… soient pris en compte de manière sui­vie.

Aucune infor­ma­tion sur les droits : le droit de refu­ser les exa­mens médi­caux, le droit d’en contes­ter les résul­tats et sur­tout le droit, fon­da­men­tal, de sai­sir par l’en­tre­mise d’un avo­cat le juge des tutelles. Ces éducs-là sont les ins­tru­ments zélés du tri sélec­tif.

Ce trai­te­ment indigne, qui va à l’en­contre des textes inter­na­tio­naux, notam­ment de la Convention de New York rati­fiée par la France, peut être consi­dé­ré comme cri­mi­nel quand on sait qui sont ces jeunes réfu­giés.

Monsieur Tourenne, vous savez qu’il ne s’a­git pas ici de tou­ristes ou de jeunes aven­tu­riers. Les récits de vie pré­sen­tés à l’Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides (OFPRA) sont un véri­table musée des hor­reurs où s’ex­posent toutes les dou­leurs et tur­pi­tudes du monde. Des récits pleins de bruit et de fureur que par­fois l’a­do­les­cent empri­sonne dans son incons­cient au point qu’au­cune parole sur ces séquences de vie ne lui soit plus per­mise. L’OFPRA reçoit l’his­toire et en demande la preuve. Las ! Les tor­tion­naires qui ont lacé­rés le jeune corps souf­frant n’ont pas eu, pré­voyant de l’a­ve­nir, la déli­ca­tesse de four­nir au sup­pli­cié une attes­ta­tion qu’il pour­ra ici faire valoir. Il faut aus­si appor­ter les preuves que la per­sonne est mena­cée gra­ve­ment en cas de retour dans ce pays qu’il a fui à grand peine. Pas de preuve, pas de sta­tut de réfu­gié : c’est le sort de la plu­part et les récits pan­te­lants res­tent sus­pen­dus, sans effet sur le Réel, sans pou­voir rédemp­teur.

L’horreur dite ouvre sur le vide de la galère.

L’enfant afghan qui a ser­vi de tra­duc­teur, à son corps défen­dant, aux armées occi­den­tales d’oc­cu­pa­tion a vu sa famille mas­sa­crée, son père égor­gé sous ses yeux, les filles cri­blées de balles. Il aura tou­jours la mémoire inon­dée du sang qui coule et colle la pous­sière, sa rétine trem­ble­ra encore long­temps du tres­saut des corps sous l’im­pact des balles.

L’enfant a fui avec son grand frère dans la mon­tagne. Au gré des ren­contres, au bout de longs mois, au prix de souf­frances et d’hu­mi­lia­tions inouïes, après la mort de son frère abat­tu à une fron­tière qu’il ne sait pas nom­mer, il arrive quelque part. Il aura ren­con­tré à Moscou des « frères » pach­tounes qui l’au­ront aidé à prendre place dans une camion­nette bâchée. Direction Paris mais lui ne le sait pas. Ce voyage il en aura payé le prix d’une façon qu’il ne pour­ra pas dire.

Celui-ci vient du Cabinda, enclave ango­laise riche en pétrole incluse dans le ter­ri­toire du Congo RDC. Soupçonné d’être l’in­for­ma­teur du Front de Libération de l’Enclave du Cabinda (FLEC) qui a four­ni des ren­sei­gne­ments lors de l’at­ten­tat contre le bus de l’é­quipe de foot du Togo, il trouve un jour sa mai­son incen­diée. Sa famille a dis­pa­ru. Il est ici près de nous mais reje­té de tout « dis­po­si­tif » il n’est plus rien.

Dans le désert de Mauritanie, le jeune ber­ger Peul a vu venir les sol­dats, des Maures. Ils ont abat­tu son père, comme le bétail. Il a fui au Sénégal voi­sin où il ne lui a pas été pos­sible de res­ter. Celui-là connaî­tra le désert de Lybie, les pri­sons de Turquie où règne la loi des gangs, les mou­roirs où sont déte­nus en Grèce pêle-mêle toxi­cos, poin­teurs, bra­queurs, assas­sins et étran­gers en situa­tion irré­gu­lière… Au terme d’une incroyable Odyssée il est en France, majeur main­te­nant mais « sans-papiers » il sur­vit, mi-clan­des­tin d’un clair-obs­cur urbain, dans l’at­tente d’une réponse de l’OFPRA à sa demande d’a­pa­tride.

La mul­ti­pli­ci­té des tra­jets sin­gu­liers est infi­nie. Ils ont en com­mun la souf­france et l’exil.

Celle-ci, enfant du Congo, mineure recon­nue et prise en charge digne­ment comme cela se fai­sait avant, un jour a rom­pu les bar­rières de la rai­son et, au cours d’une crise de démence a décla­ré qu’elle était majeure.

Après des péri­pé­ties judi­ciaires et psy­chia­triques insou­te­nables elle se retrouve « inter­née » sans issue.

Les per­tur­ba­tions psy­chiques sont fré­quentes chez les MIE. Cas assez rare, cette jeune Congolaise avait sans doute été expa­triée par sa famille qui ne sup­por­tait pas la honte que lui cau­sait sa folie mais dans la majo­ri­té des cas il s’a­git de jeunes mani­fes­tant des troubles post-trau­ma­tiques. Tortures, viols, mas­sacres des familles détruisent des jeu­nesses de manière durable.

Ici rien, des uni­tés d’eth­no­psy­chia­trie inexis­tantes, un accom­pa­gne­ment social assu­ré par les seuls béné­voles d’as­so­cia­tions ; ces jeunes sont condam­nés à l’er­rance, livrés aux périls d’une socié­té dont ils ignorent les codes. À la rue parce que décla­rés arbi­trai­re­ment majeurs, à la rue parce que sor­tis du « dis­po­si­tif » après leur majo­ri­té, sans accom­pa­gne­ment : « sor­ties sèches » dit-on, sèches et rudes en effet. Combien dis­pa­raissent ? Où vont-ils ? Difficile de le savoir. Le Conseil Général a ordon­né aux tra­vailleurs sociaux de ne don­ner aucune infor­ma­tion à ce sujet. Lourde res­pon­sa­bi­li­té !

Lourde faute morale. L’effort prin­ci­pal en moyens humains et finan­ciers devrait bien sûr por­ter sur les pre­miers jours, les pre­mières semaines. Il s’a­gi­rait de ras­su­rer, de sécu­ri­ser, de don­ner les outils d’a­dap­ta­tion sociale, appren­tis­sage de la langue, école, for­ma­tion pou­vant per­mettre au jeune d’a­per­ce­voir une pos­si­bi­li­té d’a­ve­nir. Au lieu de cela, qui serait une marque d’élé­men­taire huma­ni­té, on leur impose l’at­tente, l’in­cer­ti­tude qui vire à l’an­goisse, pen­dant des semaines et des semaines. Le Conseil Général dit : au moins ils ne sont pas à la rue ; c’est ce qu’ils appellent une « mise à l’a­bri » et si la qua­si-insa­lu­bri­té des lieux est poin­tée du doigt, les cyniques gros­siers répondent : ils sont tou­jours aus­si bien que chez eux. Ainsi va le « socia­lisme », ain­si va le « chan­ge­ment ».

Cette poli­tique hon­teuse du Conseil Général d’Ille-et-Vilaine est dénon­cée par des asso­cia­tions comme le MRAP, par RESF 35 et des groupes mili­tants comme le Comité de Soutien aux Personnes Sans Papiers et le Conseil des Migrants. Les pro­tes­ta­tions se heurtent à un mur : refus de dia­logue. Se sentent-ils assez forts ces « socia­listes » main­te­nant qu’ils détiennent toutes les clefs du Pouvoir d’État pour main­te­nir cette poli­tique inique ? N’auraient-ils pas la pos­si­bi­li­té, au contraire, d’être enten­dus main­te­nant par l’État Central pour obte­nir les fonds que néces­si­te­rait la situa­tion ?

Sur la façade du vieux bâti­ment aux volets clos, un écri­teau : per­mis de démo­lir… C’est donc là qu’ils attendent dans l’an­goisse : à la fois mineurs, étran­gers et iso­lés, quoi qu’en disent la pré­fec­ture ou le Conseil Général.

Il a fal­lu des auto­ri­sa­tions admi­nis­tra­tives pour décla­rer ce futur chan­tier ; quelle admi­nis­tra­tion a déli­vré au Conseil Général d’Ille-et-Vilaine le per­mis de démo­lir des vies ?

Mutation anthro­po­lo­gique ?

Cette situa­tion faite aux MIE jette une lumière crue sur le regard que les socié­tés occi­den­tales portent à pré­sent sur l’en­fance, sur la jeu­nesse.

Dans une socié­té qui a main­te­nu tant bien que mal sa cohé­rence, l’en­fant, dans la conscience col­lec­tive, est por­teur d’a­ve­nir et garant de la conti­nui­té du groupe social et, au-delà, de l’es­pèce. À ce titre il est l’ob­jet de soins et de pro­tec­tion. C’est non seule­ment la famille bio­lo­gique qui le prend en charge mais aus­si la com­mu­nau­té dans son ensemble. Mauvais trai­te­ments et aban­dons signalent un déli­te­ment glo­bal de la socié­té. Les enfants des rues de Kinshasa témoignent dans leur aban­don de l’im­pos­si­bi­li­té de « faire socié­té » dans la mons­trueuse méga­pole. Il en va ain­si dans ces pays du Sud où l’hy­per­tro­phie urbaine accom­pagne la désa­gré­ga­tion sociale.

Ici rien de tel. Le pour­ris­se­ment, bien réel, est plus insi­dieux. Depuis une dizaine d’an­nées, les dis­po­si­tifs spé­ci­fiques de pro­tec­tion de la jeu­nesse sont sapés au pré­texte d’un coût trop éle­vé. Dans l’Éducation Nationale, les RASED, dis­po­si­tifs d’aide aux élèves en dif­fi­cul­té, ont presque dis­pa­ru, les AVS et EVS, aides indi­vi­dua­li­sées à l’é­cole élé­men­taire sont sans cesse remis en cause, leur salaire réduit à peau de cha­grin.

L’édifice pro­tec­teur issu de la cir­cu­laire de 1945 sur la jeu­nesse délin­quante est déman­te­lé. On ferme des foyers d’hé­ber­ge­ment édu­ca­tif de la Protection Judiciaire de la Jeunesse dont on a res­treint les com­pé­tences aux seuls mineurs délin­quants (les dis­po­si­tions anté­rieures englo­baient jeunes en dan­ger et jeunes délin­quants consi­dé­rant que le mineur délin­quant était, avant tout, un mineur en dan­ger). La logique puni­tive l’emporte sur la rai­son édu­ca­tive, les Établissements Pénitentiaires pour Mineurs (EPM) et les Centres d’Éducation Fermés se mul­ti­plient alors que leur échec est patent.

Ce regard déna­tu­ré por­té sur la jeu­nesse n’est pas étran­ger à ce qui a été nom­mé par les Situationnistes « l’i­déo­lo­gie spec­ta­cu­laire mar­chande ». La mar­chan­dise féti­chi­sée rem­place les valeurs humaines et vide l’hu­main pour le satu­rer d’ar­te­facts. La jeu­nesse devient d’une part source de pro­fit en tant que cible com­mer­ciale, il s’en­suit un enva­his­se­ment du dis­cours public par un « jeu­nisme » mer­can­tile. D’autre part, quand elle sort du rôle que lui assigne la logique mar­chande, elle devient la « classe dan­ge­reuse » dont la socié­té doit se pro­té­ger.

Le trai­te­ment subi par les MIE serait alors un aspect par­ti­cu­liè­re­ment dou­lou­reux d’un phé­no­mène plus géné­ral.

Sommes-nous en pré­sence d’une muta­tion anthro­po­lo­gique irré­ver­sible ?

Il est cer­tain que la ten­dance est pro­fonde. Ce n’est pas un phé­no­mène de sur­face qu’un « chan­ge­ment » (c’est pour quand ?) peut modi­fier car il est induit par la logique capi­ta­liste des rap­ports de pro­duc­tion et les des­truc­tions socié­tales qui en pro­cèdent.

Cela néces­site de pen­ser radi­ca­le­ment la trans­for­ma­tion sociale et de l’en­tre­prendre dès à pré­sent.

Alain /​Images : Louis-François

Sur les MIE, les deux prin­ci­pales sources hors l’ob­ser­va­tion sur le ter­rain sont les sui­vantes.

Le site infoMIE – Site de res­source sur les Mineurs Étrangers Isolés
« Les pro­blé­ma­tiques des mineurs iso­lés étran­gers, s’ins­cri­vant dans une confi­gu­ra­tion juri­dique com­plexe, l’as­so­cia­tion InfoMIE s’est don­née pour mis­sion de mettre à la dis­po­si­tion des pro­fes­sion­nels, char­gés notam­ment du repé­rage, de l’ac­cueil et de la prise en charge des MIE, toutes infor­ma­tions utiles à la pro­tec­tion de ces der­niers, afin que l’in­té­rêt supé­rieur de l’en­fant (tel que pré­vu à l’ar­ticle 3 de la Convention inter­na­tio­nale des droits de l’en­fant) anime toutes les déci­sions prises. »
http://infomie.net

Le Journal du Droit des Jeunes – Revue d’ac­tion juri­dique et sociale
Au som­maire du numé­ro 317 du mois de sept. 2012 : dos­sier enfants étran­gers et sport : trai­té et dis­cri­mi­na­tion /​Le dépar­te­ment de la Loire orga­nise la dis­cri­mi­na­tion dans l’oc­troi de l’Aide sociale à l’en­fance aux familles /​Inquiétantes infor­ma­tions pré­oc­cu­pantes : le glis­se­ment des ins­ti­tu­tions vers la confu­sion des pou­voirs /​Les enfants et inter­net
http://www.droitdesjeunes.com